Cécilia, le premier chimpanzé reconnu personne non humaine dotée de droits fondamentaux

Commentaire du jugement du tribunal civil de Mendoza (Argentine) du 03 novembre 2016

© Proyecto Gran Simio

Depuis de nombreuses années, les associations de protection animale militent pour la reconnaissance de la personnalité non humaine aux grands singes et n’étaient pas parvenues jusqu’à présent à une telle reconnaissance pour HERCULE, LEO [1] et encore moins SANDRA [2]. Cécilia est ainsi la première femelle chimpanzé qu’un tribunal vient de qualifier de personne non humaine dotée de droits fondamentaux. Ces droits fondamentaux sont le droit à la liberté d’aller et de venir et le droit de vivre dignement. Le tribunal à juge unique insiste sur les conditions de vie difficiles de Cécilia au zoo de MENDOZA (ARGENTINE). Cette dernière a vécu la majeure partie de sa vie dans un environnement exigu, encadré par de hauts murs et sur ciment. Elle avait perdu tout contact avec ses congénères depuis le décès de son dernier compagnon survenu en 2005 alors même que les primates ne peuvent vivre qu’en groupe. Cécilia était donc en souffrances, ses impératifs biologiques étant niés [3]. L’association ayant introduit cette action la comparait à une esclave. C’est pourquoi le tribunal a ordonné son transfert dans un sanctuaire pour chimpanzés, celui de SOROCOBA situé au BRESIL [4]. Se fondant sur l’habeas corpus et recherchant la recevabilité de l’action introduite par l’AFADA,  le juge Maria Alejandra Mauricio a extrait ce primate de la catégorie des biens. Il estime d’une part qu’un grand singe doit être intégré au patrimoine culturel du pays. La législation sur la faune doit également le protéger. Ce faisant, le juge adopte une vision collective de la protection (I). Dans une seconde partie, le magistrat étudie Cécilia en tant qu’être individualisé. Il considère ce grand singe comme une personne non humaine. Il s’agit selon lui d’un être sentient. Son argumentaire est fondé sur les principaux auteurs d’éthique animale (II).

 

I. Cécilia protégée collectivement par le droit de l’environnement

Le juge admet la recevabilité de l’action de l’AFADA en se fondant sur le droit de l’environnement. Protéger Cécilia revient à protéger les biens et valeurs collectives. La constitution argentine reconnaît en effet expressément une nouvelle catégorie de droits « celle des droits d’impact collectif » dont le droit à l’environnement [5]. Le bien être de Cécilia fait ainsi partie du patrimoine naturel. Le juge complète son raisonnement en affirmant que ce bien-être fait également partie intégrante d’un patrimoine culturel.

 

II. Cécilia protégée individuellement en qualité de personne non humaine

Cécilia devient la première personne non humaine reconnue. Le juge part du constat que l’article 227 du code civil et commercial argentin définit les choses comme pouvant se déplacer d’un endroit à l’autre par elles mêmes ou par l’effet d’une force extérieure. Le juge extrait pourtant Cécilia de la catégorie des choses en affirmant qu’il serait incohérent que le code pénal argentin protège les animaux contre les actes de cruauté si ces mêmes animaux demeuraient des choses. C’est donc parce que le code pénal argentin a extrait de la catégorie des biens les animaux (et surtout ici les grands singes) que Cécilia est une personne non humaine. Cette personnalité non humaine est réservée aux grands singes dont les caractéristiques sont très proches des humains. Le juge décrit alors les caractéristiques propres de grands singes très proches de celles de l’homme et notamment la similitude des ADN entre 94 et 99%. Sont également comparées les capacités : accéder à la nourriture, fabriquer des outils, la capacité à ressentir la douleur etc. Le jugement cite d’ailleurs BENTHAM, PETER SINGER…

Le juge pose in fine la question de la nature de cette personnalité juridique non humaine : S’agit- il d’accorder les mêmes droits aux grands singes qu’aux humains et ainsi d’avoir une vision anthropomorphique de leurs droits ?

La réponse est négative : « dans le cas présent, nous ne déclarons pas que les animaux êtres sensibles sont pareils aux êtres humains et nous n’élevons pas dans une catégorie humaine tous les animaux existants ou la faune et la flore ;  nous reconnaissons et nous confirmons que les primates sont des personnes juridiques non humaines possédant des droits fondamentaux qui devraient être étudiés et énumérés par les autorités de l’État, tâche qui dépasse le cadre de notre compétence ». Ce magistrat précise également que « Les animaux doivent avoir des droits fondamentaux et relever d’une législation en concordance avec ces droits pour les protéger dans la situation particulière où ils se trouvent et en fonction du degré d’évolution que la science a déterminé qu’ils peuvent atteindre. Il ne s’agit pas de leur accorder les mêmes droits qu’aux êtres humains ; il s’agit d’accepter et de comprendre une fois pour toutes qu’ils sont des êtres sensibles ayant une personnalité juridique avec des droits fondamentaux parmi lesquels ceux de naître, vivre, se développer et mourir dans un environnement adapté à leur espèce».

En guise de prospective, le juge Maria Alejandra Mauricio entend voir les autorités argentines réfléchir sur le sort de certains animaux en zoo comme les éléphants, les lions, les tigres, les ours et animaux exotiques n’appartenant pas à la zone climatique et géographique de l’ARGENTINE [6]. Et de citer in fine dans le corps de son jugement : Emmanuel KANT : « on peut juger du cœur d’un homme d’après sa manière de traiter les animaux », ANATOLE France : « une partie de notre âme reste endormie tant que l’on a pas aimé un animal », BOUDDHA : « un homme ne devient noble seulement quant il a pitié de toutes les créatures vivantes » et enfin, GHANDI : « on reconnaît la grandeur d’une Nation et son progrès moral à la manière dont elle traite ses animaux ». À méditer…

[1] RSDA 1/2015 P 117
[2] RSDA 1/2015 p 119
[3] Extraits du jugement : « Agrega que luego de la muerte de sus compañeros de celda“Charly”(julio 2014) y Xuxa (enero/2015), la chimpancé Cecilia seencuentra viviendo de modo absolutamente solitario sin ningún tipo decompañía de sus congéneres, siendo que los chimpancés son animales extremadamente “sociales”, sin ningún espacio verde o árboles para ejercitarse ni tampoco algún enriquecimiento ambiental, como instrumentos y juegos para entretenerse, y sin contar con un bebedero propio, con el que pueda saciar su sed cuando lo desee, condiciones estas que han agravado su situación poniendo en evidente riesgo su vida y su salud física y psíquica, en función de la edad que posee, las  características propias de la especie y fundamentalmente por el propioestrés con el que ya vive en cautiverio »
[4] RSDA 2/2016 p 15 et suivants
[5] Extraits du jugement p 11 : « La Constitución Nacional reconoce expresamente desde
1994 una nueva categoría de derechos: los “derechos de incidencia colectiva” (art. 43 segundo párrafo CN), aludiendo –entre otros- al derecho al ambiente consagrado en el art. 41 CN citado. El derecho al ambiente fue incorporado expresamente en el art. 41 CN con el siguiente texto, que me permito reproducir para facilitar la lectura de la argumentación que desarrollaré.“Todos los habitantes gozan del derecho a un ambient »
[6] Extraits du jugement en dernière page : « Solicitar a los integrantes de la Honorable Legislatura de la Provincia de Mendoza proveer a las autoridades competentes de las herramientas legales necesarias para hacer cesar la grave situación de encierro en condiciones inapropiadas de animales del zoológico tales como el elefante africano, los elefantes asiáticos, leones, tigres, osos pardos, entre otros, y de todas aquellas especies exóticas que no pertenecen al ámbito geográfico y climático de la Provincia de MENDOZA »
 

ME Véronique Tardy, avocate à la cour d’appel d’Aix-en-Provence
Le 10 janvier 2018