La chèvre (Capra aegagrus hircus)
La chèvre a été domestiquée très précocement dans l’histoire de l’humanité, il y a plus de 10 000 ans, car elle représentait une source particulièrement intéressante de divers produits utiles à l’homme : son lait et sa viande étaient consommés bien sûr, mais sa peau également était valorisée, pour le transport de l’eau ou du vin, puis comme base pour le parchemin avant l’invention de l’imprimerie. Ses poils étaient utilisés pour fabriquer de la laine. L’avantage que présentait la chèvre par rapport aux autres herbivores, outre la qualité et la diversité de ses produits, était sa rusticité : elle est capable de s’adapter à toutes les topographies grâce à sa légèreté et son pied sûr, elle résiste au froid des nuits d’alpage et aux fortes chaleurs en été et elle est bien plus efficace en terme de transformation d’herbe en lait : pour comparaison, une vache Prim’Holstein de 700 kg produit de l’ordre de 8 600 litres par an, soit 12,3 litres de lait par kg et par an alors qu’une chèvre alpine de 60 kg produit de l’ordre de 850 litres par an, soit 14,1 litres de lait par kg et par an. En fait, sa capacité à absorber toutes sortes de végétaux, défricher et exploiter des terrains pauvres était primordial dans les zones sèches ou au contraire très riches et denses pour dégager les terrains. Ces qualités en font encore aujourd’hui un animal recommandé dans les pays en voie de développement, à condition de maîtriser sa population car le risque de désertification par pâturage intensif est fort avec les chèvres !
Il en existe de nombreuses races, mais les plus courantes en France sont les chèvres Saanen et Alpine, très bonnes laitières. On trouve aussi des races à poils particulièrement prisées pour le textile, comme la chèvre Angora, ou encore des chèvres de compagnie, comme les chèvres naines qui ne sont pas encore reconnues comme une race à part, mais plutôt comme un croisement de sujets de petite taille.
Certaines chèvres sont élevées pour leur laine, les chèvres Angora, mais cette production est très minoritaire.
Chèvre Angora. Auteur : Mohair du Pays de Corlay
Physiologie
La chèvre mesure entre 80 et 100cm au garrot pour un poids pouvant atteindre les 80kg, sauf pour les modèles nains, extra nains ou toy qui ne dépassent pas les 50 cm. C’est un ruminant, elle possède donc quatre estomacs différents, qui lui permettent d’avaler une grande quantité d’aliment stockés dans le premier estomac et le plus gros, le rumen (aussi appelé panse). Par la suite, la chèvre régurgite les aliments, les mastique longuement (c’est la rumination) puis les ravale, ils passent alors dans les 3 estomacs suivants : le réseau, le feuillet et enfin la caillette (qui ressemble à l’estomac des non-ruminants). Ces estomacs servent de filtres et démarrent la fermentation utile à la digestion, qui commence dans la caillette.
Les chèvres vivent en moyenne une quinzaine d’années. À partir de l’âge de sept mois, les chevrettes peuvent se reproduire ; elles s’accouplent avec un bouc à l’automne et un à deux chevreaux naissent cinq mois plus tard, en fin d’hiver ou au printemps : c’est l’agnelage. Il déclenche la lactation qui durera jusqu’au sevrage, au moins deux à trois mois plus tard. Lorsque les chevreaux ne sont pas séparés de leur mère, il peut arriver qu’ils continuent à téter jusqu’à l’âge adulte, et même lors de la gestation suivante de leur mère !
Chèvre Saneen. Source : wikipedia
Chèvres Alpines. Source : http://levasiondessens.com
Chèvre naine. © Adobe Stock – Grigorita Ko
La chèvre est un animal de troupeau à l’instinct grégaire développé. Il lui est indispensable de vivre avec au moins un congénère à ses côtés ! À défaut, elle pourra être en présence d’un autre herbivore (mouton, âne, poney…) avec qui elle trouvera quelques accointances, même si ce n’est pas idéal. Malgré ce besoin impérieux de vivre au milieu de ses congénères, ses relations sociales ne sont pas de tout repos. En effet, être le ou la mieux placé dans la hiérarchie est une des priorités de la chèvre et elle va défendre sa place avec véhémence. Tout est prétexte pour affirmer la dominance comme la priorité d’accès à la nourriture ou à l’eau… C’est une compétition permanente ! Les chèvres dominées ont souvent du mal à accéder à la nourriture et peuvent se faire chahuter, parfois violemment particulièrement lorsqu’il s’agit de nouvelles venues.
Joueuse et facétieuse, le jeu est un bon moyen pour la chèvre pour dépenser son énergie ! Elle aime simuler des bagarres avec ses congénères, sauter “comme un cabri”… Mais surtout elle adore s’amuser en prenant de la hauteur (sur des rochers, des murs…). D’une part, avoir la plus haute place est un signe de dominance chez la chèvre (y compris dans la hiérarchie), d’autre part, elle a gardé son instinct de grimpeuse habille.
Malgré les croyances populaires, la chèvre est un animal qui présente une intelligence non négligeable : dans un article publié dans la revue scientifique Frontiers in Zoology, un groupe de chercheurs de la Queen Mary University of London soutient que la «biquette» possède l’habileté de résoudre rapidement des énigmes complexes. Elle pourrait même se souvenir de la façon de le faire plusieurs mois par la suite. Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont appris à un groupe de chèvres à aller chercher de la nourriture en effectuant certaines étapes. Elles devaient tirer sur un levier avec leurs dents, le manipuler d’une certaine façon et ainsi atteindre ladite nourriture. Toutes les chèvres ont réussi la tâche en moins de douze essais.
La recherche constituait également une belle occasion d’étudier la mémoire des chèvres : dix mois après leur réussite initiale, elles ont pris moins de deux minutes à se remémorer la tâche. Ces animaux ont donc une impressionnante mémoire à long terme.
Conditions d’élevage
Les chèvres élevées de façon intensive, ce qui représente 60% des élevages caprins français, vivent en bâtiment toute l’année. En conséquence, elle sont soumises à la promiscuité, un milieu de vie appauvri et un risque accru de maladie métabolique liée à la composition de l’alimentation et tout cela occasionne des frustrations, du stress et des troubles comportementaux. Certains de ces troubles peuvent aboutir à des comportements dangereux pour les animaux, tels que des bagarres. Pour éviter cela, certains élevages pratiquent l’écornage ou ébourgeonnage, qui consiste à brûler le bourgeon de corne lorsqu’il sort tout juste du crâne. L’écornage est autorisé mais réglementé : un animal de plus de quatre semaines doit être anesthésié au moment de l’écornage (« l’écornage et l’ébourgeonnage des animaux de plus de quatre semaines devront être réalisés sous anesthésie locale ou générale » – recommandations du Comité de la Convention européenne du 21 octobre 1988, art. 17) ; pour les animaux de moins de quatre semaines, une analgésie est recommandée mais non obligatoire.
Comportement
La chèvre est un animal très intelligent, naturellement curieux mais restant un minimum craintif face à de nouvelles situations du fait de son statut d’herbivore-proie. Par l’observation, la chèvre comprend rapidement son environnement… d’ailleurs, ce dernier point peut être à double tranchant car certaines chèvres peuvent comprendre comment ouvrir une porte, passer les clôtures, etc. ! Elle a un esprit vif, elle est pleine de vitalité, elle communique beaucoup, adore jouer et être le centre de l’attention.
© A. Magnard/GFA
À l’heure actuelle il n’est pas possible de connaître le mode d’élevage des animaux lorsque l’on achète du fromage, mais certaines AOP et labels exigent des conditions d’élevage plus respectueuses des chèvres dans leur cahier des charges, comme l’accès au pâturage.
Certaines pratiques courantes en élevage de brebis sont également retrouvées en élevage caprin, mais sont moins courantes : la castration des chevreaux et boucs, pour éviter les bagarres, et la coupe de queue (caudectomie). Ces opérations sont réalisées par l’éleveur sur de jeunes animaux, avec obligation d’un traitement analgésique conformément à la réglementation européenne, ou bien par un vétérinaire.
En comparaison d’autres filières comme les lapins, poules ou porcs, l’élevage caprin est un de ceux qui présentent le moins de pratiques et traitements préjudiciables pour le bien-être des animaux. On peut espérer que leurs conditions d’élevage s’amélioreront encore grâce à la plus grande sensibilité du consommateur pour le bien-être des animaux d’élevage, mais aussi au fort engouement qui se développe aujourd’hui pour les chèvres (vidéos sur Internet, « yoga chèvre », parrainage de chevreaux en élevage, etc.) ! Il est toutefois important de limiter les conséquences que pourraient avoir cet effet de mode : hyper-sélection de modèles de plus en plus petits et potentiellement porteurs d’anomalies physiques, ou encore adoptions de chèvres « de compagnie » sans respecter leurs besoins physiologiques d’animaux « de ferme »…
« Qui ne mesure, guère ne dure » : laisser les chèvres à leur place de chèvre !
© Stan Peterson
Arlène Vivien, Docteure Vétérinaire, Inspectrice de Santé Publique Vétérinaire
Le 10 juillet 2018