L’arrêt LUNUS : Le décès d’un animal est il constitutif d’un préjudice moral ?
Etude de l’arrêt de la 1ere chambre civile de la Cour de Cassation, du 16 janvier 1962
Les tribunaux prennent ils en considération cette valeur affective qui croît dans le cœur des hommes, cette reconnaissance de l’amour entre les animaux et les bêtes ?
L’animal s’érige aujourd’hui en être cher, en membre de la famille.
Cette esquisse de « mise à égalité » de l’animal avec les membres de la famille se répercute également en matière de préjudice affectif.
Si la jurisprudence a été longuement réticente à définir un quelconque préjudice pécuniaire lié à la perte d’un animal, le pas a été franchi par un arrêt du 16 janvier 1962.
La présente étude portera sur l’arrêt dit LUNUS, un arrêt précurseur ayant eu à trancher, avant même que la protection des animaux ne connaisse l’importance qu’elle revêt aujourd’hui, sur la question suivante :
Le décès d’un animal est il constitutif d’un préjudice moral ?
Quels étaient les faits ?
En août 1952, le propriétaire d’un cheval de course dénommé Lunus loue ce dernier à un entraineur.
La société hippique organisatrice d’une course à laquelle Lunus doit participer, prête un box pour y loger ce dernier.
Malheureusement Lunus s’y électrocutera en y attrapant le fil d’une lampe.
Le propriétaire se retourna alors contre la société hippique et l’entraineur pour l’obtention de dommages et intérêts.
La Cour d’appel de Bordeaux pour combler sa perte lui octroie en premier lieu une somme compensatoire. Si les gains futurs que le propriétaire aurait pu dégager grâce au cheval ne sont pas pris en considération, la Cour se positionne de surcroît pour la reconnaissance d’un préjudice moral.
Un pourvoi* est formé, reprochant la réparation du préjudice moral : la perte du cheval ne pouvant s’apparenter selon les protagonistes à la perte d’un être cher.
La Cour de Cassation eu donc à se prononcer sur ce préjudice moral pour « atteinte affective ».
La Cour de cassation et la reconnaissance de la dualité du préjudice
- La reconnaissance d’un dommage matériel
L’arrêt s’inscrit dans une réflexion sur le dédommagement lié à la perte d’une chose.
Le propriétaire a d’abord perdu la valeur du cheval de course qui est mort et se voit en premier lieu reconnaître le dommage matériel dû au décès de l’animal.
En effet, au vu de l’article 1382 du Code Civil :
« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Toutefois le dommage ne consiste pas toujours dans une atteinte au patrimoine. Le préjudice peut résulter d’une atteinte aux sentiments.
La reconnaissance d’un préjudice moral
L’être humain peut ressentir un préjudice affectif pour la perte d’un animal au même titre que pour la perte d’un membre de la famille.
Par un attendu très novateur la Cour de cassation base sa décision sur le préjudice moral apparent et privilégie l’affection du propriétaire envers l’animal.
« Indépendamment du préjudice matériel qu’elle entraîne, la mort d’un animal peut être pour son propriétaire la cause d’un préjudice d’ordre subjectif et affectif susceptible de donner lieu à réparation ».
Un arrêt confirmé mais controversé
- Quelques mois plus tard un arrêt rendu par le TGI de Caen lié au décès d’une chienne (suite aux morsures d’un autre chien) confirme la décision en reconnaissant le préjudice affectif de la propriétaire.
« Il est certain que les intérêts d’affection méritent protection, qu’il s’agisse d’un être humain ou d’un animal d’intérieur qui, comme le chien, inspire un grand attachement à son maître, dont il est le compagnon ».
- De nombreuses critiques s’élevèrent suite à l’arrêt LUNUS amenant notamment de nombreuses joutes verbales juridiques.
Beaucoup y virent à l’époque une aberration principalement au regard des décisions de l’époque.
En effet, au moment où l’arrêt a été rendu les juges ne reconnaissaient pas ce type de préjudice pour les fiancés, les concubins, les pupilles ou encore les enfants non reconnus mais élevés. Une concubine détruite par la perte de son compagnon se voyait refuser toute réparation de son préjudice dans la mesure où aucun lien de parenté n’existait avec lui.
Quel était donc ici le lien de parenté avec le cheval ? s’insurgèrent certains.
Si la douleur du propriétaire s’avère difficilement quantifiable, sur quelle base chiffrer ce préjudice moral ? La douleur sera t’elle reconnue identique pour un cheval, un chat, un hamster, un poisson rouge ?
On ne peut dénier l’importance de la décision qui montre une fois de plus l’absence de symbiose entre une législation surannée et l’évolution de la place de l’animal au sein de l’entité familiale.
L’animal est dans la catégorie des biens mais un bien qui inspire compassion, pitié et affection.
Astrid Heyman-Valois, 16 juillet 2017
*Pourvoi : acte par lequel une partie saisit la Cour de Cassation d’un recours contre une décision de justice.