Rosa Bonheur, peintre animalière pionnière et émancipée

Si nos contemporains connaissent certainement la célèbre guinguette parisienne, combien savent réellement qui est Rosa Bonheur ? C’est sur ses traces que nous irons découvrir une pionnière, une femme ayant accès à la grande peinture (par la taille et le thème), amoureuse des animaux, capable d’établir une stratégie commerciale pour vendre son œuvre et garantir son indépendance financière.

Une vocation pour défier la misère

C’est à Paris que Marie Rosalie Bonheur (1822-1899), dit Rosa Bonheur, grandit. Elle a rapidement la réputation d’être un garçon manqué. Sa mère, Sophie Marquis, se tue à la tâche avec ses quatre enfants après avoir été abandonnée par son mari, Raymond Bonheur, peintre, qui entre chez les saint simoniens. La police finira par démanteler la secte issue du premier courant mystique influencé par Saint Simon. Raymond Bonheur finira donc par en être libéré et à vivre de nouveau dans un atelier. Rosa Bonheur se promet de ne jamais se marier et de devenir une peintre riche et célèbre pour  subvenir elle-même à ses besoins.

C’est cette ambition qui l’a fait entrer dans l’atelier de son père, après avoir été envoyée à l’école élémentaire, en apprentissage comme couturière, et enfin en pension à la mort de sa mère. Elle commence à étudier les animaux qu’elle adore en 1839. Ils deviendront sa spécialité. Elle expose pour la première fois au Salon en 1841, à l’âge de 19 ans. Elle obtiendra deux médailles au Salon et une commande de l’état en 1848, « Le Labourage nivernais ». L’œuvre entrera au musée du Louvres à sa mort, puis sera conservé au musée d’Orsay à partir de 1886. L’originalité de l’œuvre tient dans le fait que les héros sont les bœufs eux-mêmes. L’homme y figure bien plus petit dans cet éloge du travail des champs.

Labourage nivernais, dit aussi Le sombrage,1849
Huile sur toile, H. 1,34 ; L. 2,6 m

« Je vais faire de vous des Léonard de Vinci en jupons »…

Rosa Bonheur prend la suite de son père à la direction de l’école impériale gratuite de dessin pour demoiselles de 1849 à 1860, où elle aimait à dire : « Je vais faire de vous des Léonard de Vinci en jupons ». Cela nous permet de mieux cerner la personnalité de cette femme, également vue comme une des premières féministes, compte tenu de la vie émancipée qu’elle mena, portant les cheveux courts et fumant des havanes. Elle refusa toujours de se marier, soucieuse de l’attitude de son père vis-à-vis de sa mère et déclarant ne point vouloir être une subalterne d’un homme, voulant consacrer sa vie à son art.

Rosa Bonheur en 1865, portant la légion d’honneur

En 1853, elle réalise son tableau le plus connu, très bien accueilli au salon de Paris la même année. Il s’agit du « Marché aux chevaux » de Paris où elle se rend deux fois par semaine pendant près de deux pour réaliser croquis et esquisses. Il faut savoir qu’à cette époque, Rosa Bonheur est tenue de demander tous les six mois une permission de travestissement pour porter des pantalons. Ceci lui permet de monter à cheval ou de se rendre dans les foires aux bestiaux. Le dôme de la Salpêtrière est visible en arrière-plan du « Marché aux chevaux ». Cette œuvre, elle la voyait comme étant sa frise du Parthénon, influencée par rien de moins que Delacroix, Gericault ou encre George Stubbs, peintre animalier anglais.

 

Le marché aux chevaux,1852-1855
Huile sur toile, H. 2,45 ; L. 5,06 m

La première artiste féministe reconnue de son vivant

Comme on lui reproche ses inspirations pour le « Marché aux chevaux », elle expérimente et peint des moutons puis des bovidés qui restent ses plus belles réalisations. Rosa Bonheur s’intéresse surtout à la structure anatomique et à la robe des animaux qu’elle peint. Son étude rigoureuse l’amène à réaliser en premier lieu des esquisses sculptées. Son œuvre illustre un réalisme à la française des années 1860 où l’émotion prime sur le motif et l’organisation des éléments.

Ce tableau lui fera connaitre une notoriété internationale de son vivant. Et même si par décision spéciale, le jury du Salon n’avait plus droit de regard sur ses productions avant exposition, elle ne prendra plus la peine de les exposer, toutes ses productions étant vendue d’avance à partir de 1855.

Sa peinture est vue comme une peinture nerveuse, une peinture d’homme et Théophile Gaultier aura ses mots à son propos : « Nous avons toujours professé une sincère estime pour le talent de mademoiselle Rosa Bonheur, avec elle, il n’y a pas besoin de galanterie ; elle fait de l’art sérieusement, et on peut la traiter en homme. La peinture n’est pas pour elle une variété de broderie au petit point ».

Rosa Bonheur ne rechigne pourtant pas à réaliser des portraits d’animaux de compagnie de sa clientèle fortunée et ne souhaite s’associer à aucun courant : ni romantique, ni réaliste, ni impressionniste. C’est la première artiste à voir le marché de l’art spéculer sur ses tableaux de son vivant. Elle créé une légende autour de son personnage par le biais d’interviews et de photographies. C’est une des premières artistes à avoir mis en place une stratégie commerciale impressionnante et à partir en tournée pour vendre ses tableaux et trouver un réseau de vente.

 

Une notoriété posthume sur sa condition féministe

Elle s’installe en 1860 à By, près de Thomery sur Seine, où elle se fait construire un gigantesque atelier et des espaces pour ses animaux. Elle recevra la visite de l’impératrice Eugénie et une gravure sur bois relatant leur rencontre est conservée au château de Fontainebleau. Le 10 juin 1865, elle est la première femme artiste à recevoir les insignes de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur par l’impératrice Eugénie. Elle sera aussi la première femme promue officier de cet ordre en 1894.

C’est en 1880 qu’elle s’installe à Nice, où elle produira de nombreuses toiles. En 1889, elle invitera le célèbre Buffalo Bill dans son domaine, figure mythique de la Conquête de l’Ouest et chasseur de bisons, à l’occasion de l’Exposition universelle. Elle meurt dans sa demeure de By le 25 mai 1899 d’une congestion pulmonaire suite à une promenade en forêt.

Rosa Bonheur, Portrait D’Achille fould

Après sa mort, elle sera malheureusement oubliée et vue comme un excellent sous-ordre du courant conservateur et bourgeois. Cézanne dit de son Labourage nivernais qu’il est « horriblement ressemblant », c’est-à-dire trop réaliste de son point de vue. Finalement, c’est parfois davantage sa vie émancipée que l’on retient à la fin du XXème siècle, où des auteurs rédigent de nouvelles biographies de Rosa Bonheur. Elle reste un modèle pour les femmes peintres du XXème siècle, qui la citeront en exemple pour défendre le fait que les femmes puissent devenir membres du jury du Salon des artistes français.

 

Linda Bachammar
Artiste peintre et formatrice
Le 19 décembre 2017

 

Sources :

Wikipédia
France Culture
NART l’art en 3 coups de pinceau
Musée d’orsay