Apprentissage et transmission culturelle

La culture se définit comme l’existence de variations comportementales qui persisteraient dans le temps et qui ne seraient imputables ni à des variations génétiques ni à des variations environnementales. Selon les anthropologues, la culture serait une spécificité humaine, trouvant son origine dans le savoir, l’écriture, le langage…

Pour autant, un grand nombre de zoologistes, éthologues et biologistes pense que la culture n’est pas le propre de l’espèce humaine. Bien au contraire, des variations comportementales ont été observées chez des espèces de primates et d’oiseaux et suggèrent donc l’existence d’une transmission culturelle chez un certain nombre de vertébrés.  

Dans les années 50 au Japon, une femelle macaque a spontanément lavé des patates douces avant de les manger, puis ce sont tous les membres du groupe qui ont acquis peu à peu ce nouveau comportement. Plus récemment d’autres observations ont été faites : chez les gorilles de l’Ouest du Congo, un bâton a été utilisé pour sonder la profondeur d’un plan d’eau tandis que sur la côte Nord-Est des Etats-Unis des baleines ont développé une nouvelle technique de chasse que de jeunes baleineaux ont ensuite reproduite. Chez les oiseaux, on a observé que l’acquisition définitive du chant se fait par apprentissage, en écoutant le chant d’un adulte. De même, la migration des ongulés – savoir où et quand se déplacer – serait un comportement transmis de génération en génération.

Ces comportements culturels s’acquièrent par apprentissage social auprès de congénères puis se transmettent de génération en génération. Ils ne dépendent en aucun cas du contexte écologique et environnemental et ne sont pas plus programmés génétiquement.

 

La mouche drosophile, objet de toutes les observations

A l’automne 2018, des chercheurs du CNRS et de l’université de Toulouse III Paul Sabatier ont publié les résultats de leurs travaux portant sur la transmission culturelle chez les insectes, spécifiquement chez la mouche drosophile appelée « mouche des fruits ».

Pour qu’un comportement soit défini comme une transmission culturelle, cinq critères sont retenus :

  • le comportement doit être appris socialement, c’est-à-dire en observant des congénères,
  • il doit être enseigné par des individus plus âgés, garantissant ainsi sa diffusion d’une génération à l’autre,
  • il doit être mémorisé sur du long terme,
  • il doit concerner des caractéristiques des individus plutôt que les individus eux-mêmes,
  • il doit être appris de façon conformiste c’est-à-dire que lorsque les individus sont confrontés à différentes options dans un contexte donné, ils adoptent le comportement le plus fréquent dans la population.

En étudiant le comportement de plusieurs centaines de femelles drosophiles, les chercheurs ont démontré que ces dernières possèdent les capacités cognitives pour transmettre culturellement leurs préférences sexuelles d’une génération à une autre.

Après avoir introduit une caractéristique de manière artificielle – le corps des mâles a été peint – les chercheurs ont constaté qu’une drosophile ayant observé une femelle s’accoupler avec un mâle d’une couleur montrait une forte propension à s’accoupler avec un mâle de cette même couleur.

Les chercheurs se sont ensuite attelés à démontrer que cet apprentissage est profitable dès lors que les démonstratrices sont plus âgées que les observatrices et que ces dernières mémorisent dans le temps le comportement observé. Les chercheurs se sont également assurés que c’était bien la couleur qui influait le choix et non pas la morphologie des mâles. Enfin, le conformisme a joué un rôle correcteur fondamental, permettant de faire perdurer la tradition  – en effet, certaines drosophiles commettaient des « erreurs » qui étaient alors corrigées.  

Les chercheurs ont démontré que cette préférence sexuelle pouvaient se maintenir sur plusieurs générations avant de s’estomper, arguant par là-même que les  mouches drosophiles sont capables d’apprendre de leurs congénères et que les mouches observatrices d’une génération deviennent elles-mêmes les démonstratrices de la génération suivante.  

 

Sortir du cadre de référence

Cette découverte vient appuyer l’idée selon laquelle le processus culturel ne serait pas une spécificité réservée à l’Homme ou plus généralement aux vertébrés à forte capacité cognitive, et ouvrirait, par conséquent, un champ de recherche considérable.
« L’éventail taxonomique de la culture peut être bien plus large que précédemment imaginé », notent les chercheurs dans leur étude.

Lorsqu’il s’agit d’aborder l’hérédité, la tendance est encore à penser la transmission principalement par la voie génétique. Or d’autres voies existent, qu’il s’agisse de l’hérédité épigénétique, culturelle ou environnementale.

Le « tout génétique », cadre de référence, doit être dépassé et ses limites franchies puisque l’hérédité culturelle, on l’a vu, peut affecter l’évolution d’un très grand nombre d’espèces animales.

 

Valérie Besio, le 3 avril 2019

 

Sources :

http://www.cnrs.fr/fr/la-drosophile-est-capable-de-transmettre-ses-preferences-sexuelles-de-maniere-culturelle

http://cbi-toulouse.fr/fr/actu-la-drosophile-est-capable-de-transmettre-ses-preferences-sexuelles-de-maniere-culturelle

https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/arthropodes/selon-une-etude-les-mouches-ont-aussi-des-traditions_129863

https://www.pourlascience.fr/sd/ethologie/une-forme-de-culture-observee-chez-la-drosophile-15382.php

https://www.techno-science.net/actualite/drosophile-capable-transmettre-ses-preferences-sexuelles-maniere-culturelle-N17947.html

 

Bibliographie :

Danchin, É.*, S.* Nöbel, A.* Pocheville, A. C. Dagaeff, L. Demay, A. Alphand, S. Ranty-Roby, et al. 2018. “Cultural Flies : Conformist Social Learning in Fruit Flies Predicts Long-Lasting Mate-Choice Traditions.” Science 362: 1025-1030.