Biomimétisme : l’innovation inspirée par la Nature

Source : Futura-Sciences

De l’origine du vivant au biomimétisme

L’ornithoptère de Léonard de Vinci, l’avion chauve-souris de Clément Ader, l’aéronef des frères Wright… nombreux sont les exemples, au fil des siècles voire des millénaires, qui se sont inspirés de ce que la Nature nous offre. Certains historiens ont même été jusqu’à suggérer que l’invention de la roue, il y a plus de 5 500 ans, serait le résultat de l’observation des bousiers, roulant une sphère de bouse pour y pondre leurs œufs.

L’exercice de s’inspirer de la Nature n’est donc pas nouveau mais il a pris de l’envergure dès les années 1990 pour apporter une réponse aux crises économiques, écologiques et sociales de notre civilisation ultra-industrialisée.

Proche du vivant, le biomimétisme signifie littéralement imiter le vivant (du grec « bios » vivant et « mimêsis » imitation) et nous incite par conséquent à transposer les principes et les processus de la sélection naturelle en matière d’ingénierie humaine.

Le vivant est le résultat de 3,8 milliards d’années d’évolution ; la recherche fondamentale s’en est emparée pour détailler le fonctionnement des organismes et modéliser le vivant. L’ingénierie s’est ensuite saisie des modèles biologiques les plus pertinents pour les traduire en concepts techniques, et le développement industriel a pris le relai.
Ainsi, la démarche biomimétique est interdisciplinaire et concerne de nombreux secteurs de l’activité humaine : agriculture, énergie, science des matériaux, médecine, recherche, industrie, économie, architecture et urbanisme, aménagement d’écosystèmes.

L’avion chauve-souris de Clément Ader
Source : Futura-Sciences

Des exemples à foison

L’un des meilleurs exemples actuels de biomimétisme est sans doute l’Eastgate building, construit à Harare au Zimbabwe. Ce bâtiment équipé d’un système de ventilation unique en son genre permet une excellente rentabilité énergétique rendue possible grâce à une régulation dite « passive » de température intérieure. La conception de cette structure, remarquable modèle de ventilation et d’isolation, est inspirée de la structure des termitières.

En analysant au microscope la peau des requins, des chercheurs ont découvert des rainures qui, en provoquant des micros tourbillons autour de l’animal, réduisent la résistance de l’eau. Cela a débouché sur la fabrication de combinaisons de natation puis a inspiré les ingénieurs d’Airbus pour diminuer la résistance de l’air des avions. Grâce à un vernis à effet « peau de requin », le glissement dans l’air du  fuselage des avions Airbus A340-300 a été amélioré.

Si nous observons le TGV japonais « Shinkansen », peut-être verrons-nous que les ingénieurs qui l’ont créé se sont inspirés du hibou moyen duc et du martin-pêcheur. Les pantographes – système articulé permettant à une locomotive électrique de capter le courant par frottement sur une caténaire – en forme d’ailes ont réduit le bruit du TGV pendant que le bec imitant celui de l’oiseau a limité les surpressions lors d’entrées de tunnel, diminuant la consommation électrique tout en augmentant la vitesse.

D’autres chercheurs se sont penchés sur la structure et le fonctionnement des ailes de grands prédateurs. Les ailes des futurs avions seront sans doute mouvantes, s’adaptant de manière optimale aux sollicitations extérieures, comme les ailes des oiseaux.

En 2005, Mercedes Benz a conçu une voiture inspirée du poisson-coffre (Ostracion cubicus), un poisson tropical des récifs coralliens que l’on retrouve dans l’océan Pacifique et l’océan Indien. Sa forme lui confère un coefficient de trainée très faible et la rigidité de son exosquelette a inspiré les ingénieurs de la marque allemande pour dessiner la carrosserie.

Les lamelles de la face intérieure des doigts du gecko ont inspiré des systèmes de préhension  utilisable dans le vide et l’espace qui pourraient bientôt équiper certains robots.

Enfin, la carapace chitineuse des scarabées Stenocara a inspiré des systèmes de récupérateur d’eau dans l’air. Le scarabée, pour se désaltérer, récupère la condensation de l’eau sur sa carapace. Les gouttes d’eau glissent dans les micro-rainures de la carapace jusqu’à l’orifice buccal. Ce phénomène utilise des propriétés particulières de mouillage de la carapace de l’animal. La recherche en physique et chimie tente de concevoir des surfaces ayant des propriétés identiques.

Et la liste pourrait être bien plus longue…

 Source : Industrie Techno

Ethique, productivité et biomimétisme

Face aux crises que nous traversons – économique et écologique, générées par la surexploitation des ressources naturelles – le biomimétisme devrait s’envisager comme le moyen le plus prometteur pour passer d’un système productif polluant, énergivore et fortement consommateur d’espace à une « économie verte ».

Pourtant, malgré le foisonnement des sources d’inspiration, la transformation industrielle n’a pas donné les résultats escomptés. D’une part, parce que trop peu d’innovations ont vu le jour car elles représentent un risque économique pour la plupart des industriels, balayant les technologies précédentes en les rendant trop rapidement obsolètes. Et d’autre part, parce que la course économique, l’introduction et la prépondérance d’industries high-tech sont devenues les objectifs prédominants de nos sociétés, transformant inévitablement notre connaissance en progrès technologiques qui nécessitent des besoins grandissants en matériaux et énergies, et dont les coûts et les besoins en stockage sont tout aussi colossaux.
En fin de compte, sur un plan éthique, il n’y a pas de sens à s’inspirer des animaux s’il s’agit de créer toujours davantage de puces électroniques, de peintures ou vernis d’avion ou encore d’inventer des robots qui aident à mieux débarquer des troupes militaires.
Et lorsque par exemple on produit des micro-robots pollinisateurs inspirés des insectes, cela n’est en rien une garantie de durabilité : ces minuscules robots consomment énergie et matériaux, bien plus que les abeilles, et leurs cadavres ne sont pas biodégradables mais polluent.

Les plaidoiries high-tech ne tiennent malheureusement pas compte de l’incidence globale de l’activité humaine sur l’écosystème terrestre et alimentent même les vertigineux niveaux de pollution et de croissance que connaît la planète aujourd’hui. Les animaux, eux, s’approvisionnent localement, utilisent les rejets d’autres espèces et coopèrent pour survivre. Or, peu d’innovations dues au biomimétisme s’en inspirent véritablement.

Le biomimétisme doit nous préparer à revenir à un cadre bien délimité des principes du vivant dont nous sommes hélas sortis et à abandonner notre modèle économique basé sur les énergies fossiles et nucléaires. La démarche biomimétique doit participer au changement culturel dont nous avons besoin : revoir notre rapport au vivant afin de mieux comprendre et mieux vivre notre relation et notre interdépendance à la Nature.
Cohabiter avec tous les êtres vivants de notre planète, nous en inspirer, voilà les conditions de la survie des humains.

 

 

Valérie Besio, le 26 décembre 2019

 

Source :

www.futura-sciences.com
www.lejournal.cnrs.fr
www.faunesauvage.fr
www.cite-sciences.fr
www.asknature.org
www.sciencesetavenir.fr
www.reporterre.net