Désinformation sur France 5 : réponse au Professeur Peschanski

Depuis quelques semaines le Professeur Peschanski répand des contre-vérités sur le thème de l’expérimentation animale, lesquelles sont malheureusement complaisamment reprises par un certain nombre de médias,  sans aucune vérification sur le contenu des propos de ce chercheur et sans aucun avis critique ou contradicteur qui permettrait de relativiser ses dires. 

[…] Reprenons point par point l’interview du Professeur Peschanski que l’on peut trouver sur le site de France Télévisions ou voir en cliquant ici.

La rédaction de Allo Docteur lui demande d’abord pourquoi l’on doit tester les médicaments  sur les animaux avant de le faire sur l’être humain. Et le Pr Peschanski de nous donner l’exemple de l’aspirine – que l’on utilise contre le mal de tête ou pour faire baisser la fièvre –  qui peut avoir de graves effets dans certains cas et  dont il convient par conséquent  de déterminer en amont les effets indésirables par des expériences sur les animaux.

Aspirine : le contre sens à ne pas faire

Mauvaise pioche pour le professeur. En effet, il s’avère que si l’on s’était arrêté à l’expérimentation animale, l’aspirine n’aurait jamais été commercialisée : cette substance à des effets tératogènes sur plusieurs espèces (souris, rats, chiens, singes) et elle est même potentiellement mortelle pour le chat. Surprenant tout de même une telle erreur pour un scientifique qui prétend connaître parfaitement son sujet ? Voici ce que disais le célèbre toxicologue Thomas Hartung dans les pages du journal Le Monde du 23 octobre 2012 :

Il lui est ensuite demandé quelles sont les espèces les plus utilisées.

Bien évidemment les rongeurs paient le plus lourd tribu à la recherche. Mais les arguments utilisés par le Professeur Peschanski n’ont absolument rien de scientifique. Il tente de nous expliquer que l’on utilise ces espèces parce que l’on a moins d’empathie envers elles qu’envers d’autres espèces… Mais où est donc ici la rigueur scientifique dans ce qui voudrait être une justification de l’utilisation de certaines espèces plutôt que d’autres ? Celle-ci nous conduirait – si nous allions au bout du raisonnement – à privilégier l’utilisation des primates qui sont tout de même beaucoup plus proches que nous que les souris, non ?

Mais effectivement le public a spontanément moins d’empathie pour ces petits rongeurs qui sont pourtant des mammifères doués de sensibilité et d’une grande intelligence, comme nos si familiers chiens et chats. Et les chercheurs l’ont bien compris.

Ce que le Professeur Peschanski oublie de dire c’est qu’à ce jour quasiment tous les rats et souris utilisés à des fins expérimentales sont des animaux génétiquement modifiés (création de lignées avec l’introduction de certains gènes humains pour mieux « répondre » à certains types de recherches) ou encore des animaux chez lesquels on a induit une pathologie qu’ils n’auraient pas développé spontanément. Autrement dit, ce ne sont pas des modèles « naturellement » valides.

Il est par ailleurs extrêmement choquant que ce monsieur puisse se permettre de prononcer la phrase suivante :

« Je vois mal comment on pourrait nous demander de tester directement sur le bébé une thérapeutique innovante »

Par une telle phrase, le Professeur Peschanski sous-entend que les associations et les scientifiques qui remettent en question le bien-fondé de l’expérimentation animale et qui demandent plus de moyens pour le développement des méthodes de recherche non-animale, prôneraient des expériences sur humains (ceci dit des expériences se font bien sur humains sains en phase clinique avec les dangers que cela représente…).

Dans un autre article du journal Le Point, il évoquait – pour répondre à une question de la journaliste qui lui demandait pourquoi il tenait à ce que les expérimentations se poursuivent sur les animaux – le fondement de la bioéthique et le code de Nuremberg. Comme chacun sait, le code de Nuremberg a été rédigé en réaction aux expériences qui avaient été menées par des médecins nazis sur des prisonniers des camps d’extermination.

De tels rapprochements (opposants à l’expérimentation animale = partisans ou cautions de pratiques monstrueuses sur humains) confinent à la diffamation et pourraient bien finir par donner lieu à des poursuites judiciaires. […]

Il est également à noter que dans l’interview  du Point du mois de septembre, Marc Peschanski déclarait, à propos du bon usage des animaux de laboratoire que: « Les commissions nationales et internationales d’évaluation des projets sont très attentives à ce point. C’est la base de la bioéthique ».

A quelles commissions nationales pouvait-il bien faire référence ?

* Il existe en France des comités éthiques locaux (dans chaque centre de recherche ou université) qui analysent le contenu des projets de recherche sur animaux et le bien-fondé de l’utilisation de ces animaux.

Ces commissions soit disant « très attentives » à l’éthique –  quand elles sont composées de 5 personnes – comprennent 3 personnes qui pratiquent l’expérimentation animale, 1 vétérinaire, et 1 personne « non spécialisée dans les questions relatives à l’utilisation des animaux à des fins scientifiques » (cf. articles R214-117 et 118 du code rural) c’est-à-dire à peu près n’importe qui ! En règle générale il s’agit d’un représentant d’une association de protection animale qui n’a pas voix au chapitre puisque non scientifique.

Il est essentiel de noter qu’aucune expertise en matière de méthodes « non-animales » n’est requise dans les comités d’éthique. 

* Il existe aussi une commission nationale de l’expérimentation animale (CNEA). Mais celle-ci ne joue aucun rôle en ce qui concerne l’évaluation des projets et le contrôle de l’utilisation effective des « méthodes alternatives ». Sa mission principale consiste à valider  des formations professionnelles destinées aux chercheurs ou aux personnels des animaleries portant sur les bonnes pratiques en matière… d’expérimentation animale !

Et qu’en est-il  des commissions internationales également évoquées par Marc Peschanski ?  Elles n’existent tout simplement pas !

Ce sont parfois les ONG comme l’Eurogroup for Animals ou encore des députés européens engagés dans l’Intergroupe pour la protection et la préservation des animaux qui – via des signalements qui leur sont faits par des citoyens européens – interpellent la Commission européenne par le biais de questions écrites (pour mauvaise application de la directive 2010/63/UE relative à l’utilisation des animaux à des fins scientifiques).

Par conséquent, on peut bien affirmer que les instances existantes ne garantissent nullement une évaluation objectivement impartiale des projets utilisant des animaux.

Dans ce même interview du Point, Marc Peschanski évoquait  la nécessité de disposer d’un organisme entier pour évaluer la toxicité d’une substance et sa métabolisation via les différents organes. Certes à ce jour, il n’a pas été possible de reconstituer un organisme entier. Mais des centres de recherche comme l’INRIA (en France) y travaillent.

Pour autant le fait d’utiliser un organisme entier de souris – qui plus est, génétiquement modifiée – est-il garant d’un résultat fiable sur un organisme humain ? Bien évidemment non.

Par conséquent, un scientifique de ce niveau se devrait – par simple souci d’objectivité – de citer les progrès immenses réalisés ces vingt dernières années dans le domaine des méthodes non-animales ou alternatives, applicables notamment dans les études de toxicité…

On peut lire dans le rapport 2016 du GIS (Groupement d’Intérêt Scientifique)  Francopa : « Les progrès viennent actuellement du génie tissulaire qui permet de développer des cultures cellulaires 3D  dotées de niveaux de différenciation et d’une organisation tissulaire proche de la situation in vivo se rapprochant progressivement d’organes reconstitués. Les développements actuels laissent entrevoir des possibilités enthousiasmantes en termes de remplacement ».

On peut également valablement faire référence aux méthodes « in silico » c’est-à-dire des modèles biomathématiques – tels que les modèles prédictifs QSAR (Quantitative Structure – Activity RelationShip) et PBPK (Physiologically Based Pharmaco-Kinetic) qui peuvent se coupler avec des informations obtenues par des tests in vitro.

On lit encore dans le rapport Francopa 2016 : « Un axe de progrès prometteur est le développement de modèles « in vitro » dynamiques (tels que les humains sur puce) et leur couplage avec des modèles PBPK. Ceux-ci pourraient contribuer à l’amélioration des prédictions du devenir des substances dans les organismes vivants ».

« Les voies d’avenir de la recherche médicale risquent bien – et tant mieux –

de bousculer les certitudes du Professeur Peschanski… »

On l’interroge ensuite sur la souffrance des animaux.

Il n’est pas question pour celles et ceux qui s’engagent pour la transition vers une recherche « non-animale » de dire que les chercheurs sont des sadiques qui se complaisent à torturer les animaux. Mais bien évidemment le Professeur Peschanski trouve intéressant de reprendre les propos de quelques illuminés que l’on retrouve sur les réseaux sociaux…

On peut cependant affirmer que la perte de sensibilité vis-à-vis de la souffrance (perte d’empathie) – que l’on constate chez un certain nombre de personnes qui manipulent à longueur de journée des animaux dans le cadre de procédures expérimentales –   est bien réelle (reportages dans les laboratoires à l’appui).

Selon ce monsieur, les chercheurs veillent à ce que les animaux souffrent le moins possible lors des procédures : d’abord en application de la réglementation, et ensuite parce qu’une souffrance excessive fausserait les résultats. Décidément, le Professeur Peschanski ne prend en compte que son point de vue.

Il faudrait donc lui rappeler qu’un certain nombre d’expériences portent justement sur la douleur et le stress (pour la fabrication d’analgésiques ou d’anxiolytiques par exemple). Il devrait également s’informer sur les tests en toxicologie par exemple où l’on utilise des dizaines de milliers de rongeurs qui sont empoisonnés sur une durée de quelques jours à quelques mois (toxicité aigüe ou chronique), il n’est pas question d’anesthésier les animaux puisque la substance anesthésique fausserait les résultats.

Il faudrait aussi qu’il nous explique pourquoi les procédures expérimentales sont classées – lors de la demande d’autorisation auprès de l’administration compétente – selon leur degré de gravité vis-à-vis des animaux utilisés, de la classe « légère » à la classe « sévère » (en passant par la classe « modérée »). Pour l’information du Professeur Peschanski, je reprends ci-dessous intégralement la définition de la classe « sévère » telle qu’elle figure à l’annexe VIII de la Directive européenne 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales :

« Les procédures en raison desquelles les animaux sont susceptibles d’éprouver une douleur, une souffrance ou une angoisse intense ou une douleur, une souffrance ou une angoisse modérée de longue durée, ainsi que celles susceptibles d’avoir une incidence grave sur le bien-être ou l’état général des animaux, relèvent de la classe sévère. »

Et le Professeur Peschanski […] va ensuite jusqu’à faire une déclaration difficilement crédible. En effet, il affirme :

« Il y a quelques années les gendarmes sont venus dans mon laboratoire parce qu’on avait été dénoncé pour faire du mal aux animaux ! »

Il faut donc rappeler le cadre législatif et réglementaire à ce monsieur, qui semble l’ignorer.

Aucune plainte d’un particulier ou d’une association faisant état de mauvais traitements à animaux dans un laboratoire ne serait recevable par une juridiction. D’ailleurs pour que ces mauvais traitements soient attestés, encore faudrait-il que quelqu’un puisse les constater ce qui est à ce jour impossible sauf de travailler dans le laboratoire.

Les laboratoires de recherche utilisant des animaux sont régulièrement inspectés (malheureusement trop peu souvent et le plus souvent le laboratoire est prévenu en amont de la visite) par des inspecteurs vétérinaires de la DDCSPP (Direction départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations). Les contrevenants sont informés sur les éventuelles non-conformités à la législation et les mesures correctives à mettre en œuvre leur sont indiquées. Ensuite (dans un délai plus ou moins long…), si les mesures n’ont pas été mises en place, le contrevenant pourra se voir appliquer une sanction financière (dont le montant est totalement ridicule : au maximum une contravention de 4ème catégorie).

Enfin, il lui est demandé si l’on pourra un jour se passer de l’expérimentation animale.

[…] Il répond d’emblée Non. Comme certains il y a 150 ans n’auraient jamais pu imaginer qu’il existe une industrie sans charbon et encore moins que l’on puisse communiquer d’un bout de la planète à l’autre sans support matériel via des « ondes ». Pure science-fiction !

Non content de nous asséner cette vérité absolue, le professeur nous explique que les techniques sur cellules ont leurs limites. Et quelles limites ? Nous avons un estomac, un intestin, un foie, des reins, une circulation sanguine. Travailler sur cellules, c’est faire abstraction de tout cela.

Mais le Professeur Peschanski regarde-t-il de temps ce qui se passe hors de son laboratoire I-Stem ? Est-ce qu’il sait que de nombreux chercheurs dans le monde travaillent justement à cultiver non plus des cellules isolées mais des tissus et des micro-organes humains, que d’autres avancent sur les techniques d’organes sur puces – organs on chips (les cellules d’origine humaine des différents organes sont justement mises en relation grâce à des circuits micro-fluidiques), d’autres encore sur des modélisations mathématiques des fonctions physiologiques (voir entre autres les travaux de l’INRIA ), et que de plus en plus de chercheurs s’intéressent à la biologie intégrative qui permet de croiser des connaissances issues de disciplines différentes pour construire des modèles prédictifs pertinents ?

(lire ici un article en anglais sur les fabuleux espoirs des organes sur puce)

Certaines de ces avancées permettent d’ores et déjà de remplacer l’animal dans  tout ou partie des processus de recherche ou d’évaluation de toxicité, d’autres sont en phase de développement – et l’accélération de celui-ci nécessiterait d’ailleurs une attitude beaucoup plus volontariste de la part de notre Ministère de la Recherche – mais toutes offrent des perspectives autrement plus porteuses que les expérimentations sur animaux qui elles aussi ont leurs limites (ici jamais évoquées), la plus importante étant celle de ne pas prendre en compte les spécificités des espèces.

[…] Après avoir pris connaissance de ces éléments, j’espère que la direction de France Télévisions (et France 5 en particulier) voudra bien – par conscience professionnelle et respect du public – rétablir un semblant de vérité sur le sujet.

Car un tel parti pris ne serait pas digne d’une chaîne publique.

 

Garance Bériot

Référente expérimentation animale/méthode de substitution de la commission condition animale EELV

Membre du Comité scientifique Pro Anima

Le 9 octobre 2017