Grand Indicateur (Indicator indicator)

UNE COLLABORATION FRUCTUEUSE

C’est un oiseau africain assez commun et au premier abord assez banal. Il fréquente aussi bien les forêts sèches et les savanes arborées que les villages et les zones urbaines. Légèrement plus petit qu’un étourneau (50g), il ne brille ni par la beauté de son plumage ni par la qualité de son chant.

Non, sa singularité est ailleurs : il a attiré l’intérêt des ornithologues et des amateurs d’oiseaux par son mode de reproduction et surtout par les relations liées avec les hommes pour avoir accès aux rayons des colonies d’abeilles dont il se délecte. Ce mutualisme est quasi-unique dans l’histoire animale.

Des parents pas très regardants

La reproduction d’abord : on connait les coucous, en particulier notre Coucou gris qui pond son œuf dans le nid de petits passereaux. À charge pour ces parents, adoptifs malgré eux, de mener à bien incubation et élevage de l’intrus au détriment de leur propre progéniture. Le Grand Indicateur a développé la même stratégie de reproduction.

En Afrique, la saison de reproduction de la majorité des espèces d’oiseaux est liée à l’arrivée ou la fin de la saison des pluies. Notre femelle Indicateur s’adapte, pour s’accorder aux espèces parasitées : elle pondra en avril en Sierra Léone mais en novembre en Afrique du Sud.

Elle va déposer un œuf par nid mais sa ponte peut dépasser… vingt œufs. Elle n’est pas très regardante sur les « parents » adoptifs, ce qui prouve la plasticité alimentaire des jeunes. Certains seront nourris par des nectarivores (qui se nourrissent de nectar) comme le minuscule Souimanga à poitrine rouge (10 à 12g), ou par des granivores (qui se nourrissent de grains), des insectivores (qui se nourrissent d’insectes) comme les moineaux, tisserins, hirondelles, guêpiers, huppes, jusqu’au plus gros de tous, le Rollier à longs brins, 120g, qui en plus des insectes ne dédaigne pas de manger de petits vertébrés.

© Frans Vandewalle

Eric Bureau, vétérinaire et ornithologue
Le 20 août 2018
Certains oiseaux parasités nichent dans des terriers ou des arbres creux, d’autres dans des nids construits dans les arbres. De récentes études génétiques ont montré qu’une femelle née dans une cavité ne parasitera que des oiseaux cavicoles (qui vit dans des cavités naturelles), contrairement à celle née dans un nid en plein air. Mais les mâles s’accouplent indifféremment avec les femelles de ces deux lignées, bloquant ce qui pourrait être un phénomène de spéciation.

La règle est brutale : dès l’éclosion, le jeune Indicateur lacère mortellement les éventuels poussins occupant le nid à l’aide de son bec armé d’un crochet membraneux. Il occupera ensuite ce nid une quarantaine de jours avant de quitter définitivement ses parents adoptifs, trois jours après la sortie du nid.

La route du miel

Parlons miel maintenant : le Grand indicateur aime le miel et le couvain, et c’est un des rares oiseaux à pouvoir digérer la cire d’abeille. Son régime alimentaire est complété par divers insectes (termites, fourmis…).

Bien qu’il soit sensible aux piqûres d’abeilles – potentiellement mortelles -, il s’attaque aux nids d’abeilles pour peu qu’ils soient accessibles. Il s’y prend de préférence le matin avant la pleine activité de la colonie et arrache de gros morceaux de cire. S’il trouve un nid abandonné, c’est encore moins risqué !

Cependant, ce qui a épaté les ornithologues, c’est la collaboration exceptionnelle développée avec les hommes pour se nourrir de miel. Une étude publiée en 2016 dans le magasine Science en donne les détails.

Au Mozambique, les villageois qui partent à la recherche de miel sauvage utilisent un son traditionnel spécifique pour appeler un Grand indicateur. L’oiseau répond par un son approprié ; il va alors guider les cueilleurs en voletant de branches en branches, repérable par ses cris sonores et l’étalement des plumes blanches qui bordent sa queue. Le Grand Indicateur amène ainsi les villageois à un nid inaccessible pour lui. Il attendra que la cueillette commence et se nourrira des morceaux de rayons tombés au sol et surtout de ceux laissés en récompense par les chasseurs de miel.

Souimanga à poitrine rouge
© Derek Keats

Ce qui est particulièrement intéressant est qu’en utilisant un son d’appel spécifique, les villageois augmentent la probabilité d’être guidés de 33% à 66% et la probabilité de trouver une colonie d’abeille de 17% à 54%. L’oiseau distingue la spécificité de l’appel humain, signal de leurs intentions et de l’opportunité alimentaire qui en découle. Ce type de mutualisme est exceptionnel entre les hommes et les animaux. Le seul autre cas connu est celui de la pêche aux mulets entre pêcheurs et dauphins.

Ce comportement du Grand indicateur a été décrit pour la première fois en 1588 mais son auteur, un missionnaire, n’avait à l’époque pas convaincu ses pairs. Ce n’est qu’au milieu du 20e siècle qu’il fut de nouveau étudié. Le Grand indicateur guiderait également le ratel, un cousin de nos blaireaux, pour l’amener à déterrer des nids inaccessibles (mais cette théorie semble aujourd’hui remise en cause).

Rollier à longs brins

Grand indicateur juvénile
© Frans Vandewalle

Et maintenant… la tronçonneuse

Tous les Grands indicateurs ne guident pas et beaucoup de questions restent en suspens. Ce sont principalement les juvéniles qui pratiquent cette chasse collaborative. Est-ce par observation et imitation qu’ils ont appris et assimilé l’appel humain? Ce n’est en tout cas pas par apprentissage parental puisqu’ils ont été élevés par d’autres espèces.

Certains adultes ne guident jamais. Est-ce parce qu’ils sont plus expérimentés et n’en ont plus besoin pour se nourrir ? Ont-ils guidé dans le passé ?

Depuis quand les Indicateurs guident-ils les hommes ? Probablement depuis que ces derniers récoltent le miel sauvage, soit peu de temps après la maîtrise du feu. Le Grand Indicateur ne s’en tient pas là : il a depuis appris à reconnaître d’autres sons, en particulier celui… de la tronçonneuse qui signifie l’accès probable à une colonie d’abeilles nichée dans un tronc creux.