La tortue luth (Dermochelys coriacea)

La tortue luth, Dermochelys coriacea, est la plus grande des sept espèces de tortues marines actuelles et le quatrième plus imposant reptile après trois crocodiliens. Malheureusement, elle est aujourd’hui menacée d’extinction et est classée comme « vulnérable » dans la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

ÉVOLUTION

Les tortues descendent des cotylosauriens, reptiles primitifs vivant il y a 250 millions d’années au carbonifère. Les premiers spécimens de tortues (chéloniens) étaient des animaux terrestres, parfois amphibies, dotés de courtes et massives pattes. Certains spécimens se sont adaptés au milieu marin avec notamment l’allégement de leur carapace. Les chéloniens possédaient également des dents qui ont ensuite été remplacées par un bec corné, le rhamphothèque. 

Actuellement, seuls six genres de chéloniens ont survécu : cinq dans la famille des chéloniidés et un seul dermochélyidés, la tortue luth. Observée en 1554 par le naturaliste et médecin français Guillaume Rondelet, la tortue luth ne refit son apparition auprès des humains qu’en 1761 lorsqu’un individu fut capturé près de Rome ce qui permettra aux scientifiques de l’époque de décrire l’espèce.

Malgré des contraintes physiques pour la nage et la ponte terrestre des œufs, les tortues marines ont réussi progressivement à s’adapter et à occuper une place écologique importante dans l’océan. Leurs membres antérieurs se sont allongés formant des palettes natatoires en forme de rames et leur carapace a adopté un profil plus hydrodynamique. Leur cou a perdu sa rétractibilité et leurs pontes se sont constituées de très nombreux œufs, stratégie reproductive inhabituelle pour des reptiles mais fréquemment retrouvée chez les espèces marines.

MORPHOLOGIE

La tortue luth pèse en moyenne 500 kg (record observé de 950 kg) pour une longueur de 2 m. Ses mensurations font d’elle la plus grande des tortues vivantes. Contrairement aux tortues terrestres et à l’instar des tortues marines, elle ne peut pas se replier à l’intérieur de sa carapace. Cependant, la tortue luth présente différentes spécificités dont, entre autres, des nageoires dépourvues de griffes, des nageoires antérieures particulièrement longues et un large cou qui supporte une tête imposante. La tortue luth possède une morphologie caractéristique de la famille des Dermochelyidae dont elle est la dernière représentante. Le trait le plus spécifique est, contrairement aux autres espèces de tortue, que sa carapace ne possède pas d’écailles en kératine mais une peau épaisse sur des os dermiques. La structure osseuse de sa carapace est réduite à de petits osselets tuberculés en forme d’étoiles imbriquées. Les plus gros de ces osselets sont disposés en lignes, formant ainsi sous la peau des crêtes ondulées, appelées carènes, disposées de la tête à la queue et donnant l’aspect profilé du dos de la tortue luth. Celle-ci possède sept carènes, une vertébrale en position centrale et six latérales. Côté ventral, les carènes sont beaucoup moins visibles et ne sont qu’au nombre de trois. Cette carapace n’est pas attachée à la colonne vertébrale et aux côtes de la tortue luth comme chez les autres espèces de tortues mais est seulement retenue par un tissus adipeux. Le dos de cette carapace est protégé par un épaississement de la peau formant une pseudo-carapace ayant l’aspect du cuir. La tortue luth arbore une couleur un bleu foncé, brillant et lisse, parsemé de points ivoires.

Le mâle se distingue de la femelle par la concavité de son plastron et sa longue queue qui dépasse de l’éperon supracaudal. La coloration de la peau et de leur carapace est pratiquement similaire chez les deux sexes mais la répartition des taches claires varie selon les individus.

La tortue luth aurait vraisemblablement une espérance de vie d’une cinquantaine d’années. Excellente plongeuse, les spécialistes ont pu observer des spécimens plonger à plus de 1300 m de profondeur pour des durées de plus de 80 min. La tortue luth peut ainsi supporter des eaux froides grâce un rythme métabolique particulier, trois fois supérieur à un reptile de cette taille, et à l’isolation fournie par son corps massif et gras. Ses nageoires lui permettent également de conserver sa chaleur corporelle, qui peut parfois dépasser de 18°C celle de l’eau. Fonctionnant comme des échangeurs de chaleurs, les artères chaudes réchauffent les veines froides. Sa carapace lui permet aussi de plonger profondément et de supporter de grandes pressions

 

Comportements

Les comportements et mœurs de la tortue luth sont peu connus des spécialistes car les observations de ces animaux en pleine mer sont difficiles, et ce particulièrement dans les profondeurs.

 

Comportements alimentaire et migratoire

Les tortues luth sont des animaux pélagiques vivant dans les grands fonds marins, alternant les phases de plongée et de nage en surface pour respirer. Elles approchent des côtes et des plages uniquement pour chasser ou pondre leurs œufs.

La tortue luth se nourrit principalement de méduses mais peut également chasser des salpes, des poissons, des crustacés, des calmars, des oursins et certains végétaux comme les algues. Quotidiennement, elle peut consommer autant de méduses que son propre poids soit environ une cinquantaine d’individus de grandes méduses. Elle joue ainsi un rôle primordial dans les équilibres écologiques, réduisant les populations de méduses et permettant aux populations de poissons de croître. La tortue luth ne possède pas de dents pour consommer ses proies mais un puissant bec et son œsophage est tapissé d’épines qui permettent le dépeçage des proies.

Afin de rejoindre ses zones d’alimentation et de nidification, la tortue luth parcourt plusieurs milliers de kilomètres. Elle s’oriente au cours des traversées transocéaniques grâce au champ magnétique terrestre. Chaque année, elle quitte les eaux tropicales pour se diriger vers les eaux polaires.

 

Comportements sociaux

La vie sociale des tortues luth est très restreinte. Les individus de cette espèce sont plutôt solitaires car les femelles et mâles ne se rencontreraient que lors de la période de reproduction.

Les femelles peuvent se croiser sur les plages lors des pontes mais ne cherchent pas à établir de contact entre elles. Des comportements agressifs peuvent survenir lorsqu’une malencontreuse collision survient mais aucun signe de communication entre les individus n’a pu être observé comme par exemple les mouvements de têtes et les « reniflements » corporels connus chez leurs cousines les tortues terrestres.

 

Comportements reproducteurs

Peu d’informations sont actuellement connues sur la reproduction des tortues luth. Les jeunes sont difficilement observables et les tortues luth ne peuvent pas vivre en captivité. En effet, l’absence de cette espèce dans les aquariums provient du fait que les tortues luth sont dans l’incapacité de nager à reculons et ne peuvent ainsi pas être maintenues en captivité, se heurtant constamment aux parois. De plus, Le décompte des populations de tortues luth est très difficile car les mâles ne retournent jamais sur leur lieu de naissance.

La maturité sexuelle de ces tortues serait d’environ 15 ans. Au moment de la période de reproduction les mâles migrent vers les sites de ponte où ils s’accouplent avec plusieurs femelles. Les accouplements ont d’ailleurs rarement été observés par les spécialistes mais une seule fécondation suffirait pour que la femelle puisse réaliser 4 à 10 pontes, espacées de 10 à 15 jours. Ces pontes se déroulent de mars à juillet dans l’océan Atlantique et de septembre à mars dans l’océan Pacifique.

La tortue luth est présente dans toutes les parties de l’océan et ne s’aventure sur la terre ferme que lors des pontes (uniquement les femelles). Elle pond sur des sites de nidifications tropicales et se nourrie jusque dans des zones tempérées et des latitudes subpolaires. (Cf. carte des lieux de distribution et de pontes ci-dessous)

Légende :

  • Fond bleu : présence de tortues luth
  • Point jaune : lieux de ponte secondaires
  • Point rouge : lieux de ponte principaux (Australie, Costa Rica, États-Unis, Guyana, Guyane française, Malaisie, Suriname, Trinidad-et-Tobago)

Les tortues luth installent généralement leur nid au-delà de la ligne des plus hautes marées afin de protéger leurs œufs. Elles s’arrêtent quelques fois dans la zone médiane mais creusent un profond trou (80 cm environ). Certaines femelles décident également de pondre beaucoup plus près de la lisière des plages mais le nombre de nids décroît à mesure que l’on se rapproche de la végétation. Les critères de choix de l’emplacement des nids des femelles ne sont pas encore connus, ni leur capacité à déceler la grosseur du sable, sa température, ou des repères visuels notamment par rapport à la végétation.

© Florida Fish and Wildlife

La nidification des tortues luth se déroulent en sept étapes : l’ascension de la femelle vers la lisière de la plage, le balayage du sable avec ses pattes, le creusement d’un trou de 80 cm de profondeur environ avec ses pattes arrières, puis la ponte, s’effectuant par slaves et accompagnée de respirations rauques, le rebouchage et tassage du trou, le camouflage de ses traces (la tortue pivote sur elle-même pour effacer les marques de son passage) puis le retour à l’eau.

La tortue luth peut pondre plus de 1 000 œufs par an. De couleur blanche, ils mesurent environ 50 mm de diamètre et possèdent une membrane souple. Des œufs de plus petites tailles stériles sont également pondus. Les scientifiques n’ont à l’heure actuelle pas déterminé la raison exacte de la présence de ces œufs stériles qui peuvent représenter la moitié de la ponte mais ils permettraient de former une couche isolante afin de garder une certaine hygrométrie dans le nid.

L’incubation de la ponte dure de 60 à 70 jours et à lieu à plus de 26°C pour les œufs puissent se développer. De plus, le sexe de chaque individu est déterminé par la température du nid : entre 26 et 30°C, incubation classique, les œufs seront un mélange de mâles et de femelles. Au dessus de 30°C les tortues qui naîtront ne seront que des femelles.

© Elise Peterson

© Jen Clifton

À l’éclosion, les jeunes réussissent à déchirer la fine membrane de leur œuf à l’aide de leur bec corné armé d’une « dent d’éclosion » ou « oviruptor ». En quelques heures toutes les jeunes tortues ont éclos et se regroupent par dizaines. Formant des colonnes, elles se hissent progressivement vers la surface. Cette remontée peut durer trois à quatre jours. Arrivés à la surface, les jeunes attendent une chute de température (le couché du soleil ou une pluie diurne) pour sortir à l’air libre, évitant ainsi la chaleur du soleil tropical. Ils ne mesurent alors que 7 à 8 centimètres et se dirigent instinctivement vers le point le plus brillant à l’horizon (la mer refletant le soleil ou la lune) aidé de leur boussole magnétique interne. Parfois, un éclairage artificiel désoriente les jeunes tortues lors de leur éclosion.

Pourquoi tortue « luth » ?

Cette espèce de tortue porte différents noms vernaculaires en fonction des pays du monde mais la plupart se réfèrent à la forme spécifique de sa carapace. En français et en italien, la forme de la tortue se rapporte à celle de l’instrument de musique, le luth. En anglais (leatherback sea turtle) et en allemand (Lederschildkröten), son nom fait référence à l’aspect de cuire de sa peau. En malais, c’est à nouveau la forme de sa carapace qui lui vaut son nom de tortue carambole, à l’image du fruit.

Menaces et protection

Dès la ponte, les œufs des tortues luth sont menacés par les insectes et d’autres prédateurs qui s’en nourrissent. Puis à leur naissance, Les tortues luth font face à une prédation importante lors de l’éclosion sur les plages et sont menacés par des crabes, des caïmans, des oiseaux et des mammifères. Elles sont ensuite confrontés aux pieuvres et aux gros poissons lorsqu’elles atteignent l’eau.

La tortue luth est classée « vulnérable » sur la liste rouge de l’UICN des espèces en danger d’extinction (Union Internationale pour la Conservation de la Nature). Il ne reste plus qu’environ 100 000 individus au monde et leurs populations sont en déclin. Celui-ci est principalement du aux activités humaines en raison de la pollution des eaux (en autres, les sacs plastiques rejetés à l’eau ressemblent aux méduses et sont alors mangés par les tortues qui s’étouffent ou meurent d’une occlusion gastrique ou intestinale), des prises accidentelles de pêche et de la multiplication des filets (les tortues se retrouvent piégées au sein des filets et ne peuvent s’en défaire puisque ne peuvent nager à reculons et meurent alors noyées). Par ailleurs, la réduction de leur espace de vie et de ponte par les activités des hommes sont des menaces importantes. La prédation humaine des tortues a également lieu, bien qu’elle soit faible car leur chair serait toxique. Les œufs des tortues sont toutefois braconnés pour les plats traditionnels des Kali’nas ou des Indonésiens et sont aussi considérés comme ayant des effets aphrodisiaques au Mexique ou curatifs au sein d’autres pays. Les tortues luth sont également chassées pour leur peau et leur carapace qui sont utilisés pour la fabrication de bijoux et de pièce d’art. Le changement climatique représente lui aussi une menace pour ces tortues et impacte leurs habitats et leurs habitudes de vie (augmentation des températures des lieux de ponte affectant le sex-ratio des pontes, du niveau de l’océan, de la fréquence et de l’intensité des tempêtes…).

© Roger Le Guen

La tortue luth est toutefois protégée par de nombreuses conventions internationales et notamment via son inscription à l’Annexe I de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). En France, elle est intégralement protégée de la vente ou de la chasse par l’arrêté ministériel du 17 juillet 1991. Plusieurs programmes de conservation ont également été mis en place afin d’étudier ces animaux et de pouvoir ainsi les protéger (ex : télémétrie, balises Argos …). Par exemple, les plages de grandes pontes comme celle en Afrique au Gabon sont officiellement protégées. Enfin, Le WWF, entre autres, a ainsi proposé quatre mesures principales pour protéger cette espèce :

  • Protéger les lieux de pontes
  • Faire de la prévention près de ces lieux
  • Utiliser l’écotourisme pour protéger la tortue luth dans les régions où elle est présente
  • Limiter la présence de filets de pêche près des côtes

Des actions sont également effectuées dans le but de réduire les prises accidentelles et l’activité de pêche en zones sensibles.

Gabrielle Montier, le 9 avril 2018

Sources :

larousse.fr

iucnredlist.org

wikipedia.org