L’âne de Provence (Equus asinus)
ORIGINES DE L’ÂNE
Au Pléistocène – soit environ 1 million d’années – apparaissent les premiers équidés, qui se sont séparés en 3 branches principales : les chevaux, les ânes et les zèbres, tous dérivés de l’Equus.
C’est sur les rivages de la Méditerranée – Grèce antique et Egypte des pharaons – qu’a eu lieu la première domestication de l’âne. Pour certains, la race asine viendrait d’Arabie et se serait ensuite répandu en Egypte, Grèce, Italie, Gaule et dans tout le sud de l’Europe pour ensuite atteindre les zones les plus septentrionales du continent européen.
Sous ces différents climats et par une ségrégation intra-spécifique, plusieurs races d’âne sont nées.
L’âne de Provence
Originaire du sud-est de la France, on trouve le plus grand nombre d’ânes de Provence dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Var, du Vaucluse, des Alpes-de-Haute-Provence, du Dauphiné, de la Savoie, du Vercors et du sud des Cévennes.
Plutôt rustique, à l’ossature solide, sa taille au garrot varie de 120 à 135 cm pour le mâle et de 117 à 130 cm pour la femelle. Il mesure entre 180 à 220 de long.
Il vit en général autour de 30 à 40 ans mais sa vie peut se prolonger jusqu’à 50 ans.
Sa robe la plus caractéristique est le « gris tourterelle » avec des nuances de roux et de brun, pouvant aller du gris très clair au gris très foncé. L’âne de Provence est aussi reconnaissable à la fameuse bande scapulaire formant la croix de Saint-André sur le dos.
La tête de l’âne de Provence est forte et le chanfrein est large et droit. Ses yeux sont en forme d’amande, bordés de noir. Le front et les oreilles sont presque toujours teintés de roux. Le bout du nez est éclairci. Les oreilles sont plantées au sommet du crâne ; lorsque l’animal est attentif, il les oriente vers l’avant. L’encolure est de longueur moyenne.
Les membres sont solides, l’ossature épaisse. Parfois, on retrouve des zébrures plus ou moins marquées sur les jambes. Le sabot est plutôt large, bien adapté à la marche et à la charge. Le dos est fort et droit, le rein court et musclé et la croupe ronde.
Ce retour en grâce lui a conféré des nouvelles fonctions. Docile, patient, facile à dresser, l’âne de Provence est surtout utilisé aujourd’hui comme animal de compagnie ou dans les activités touristiques.
Excellent randonneur particulièrement sur les terrains pierreux et escarpés, il est particulièrement apprécié en zone de montagne et de moyenne montagne.
Il peut aussi être utilisé pour le débroussaillage des maquis et végétations de terrains secs.
L’âne de Provence continue d’accompagner les bergers pour la transhumance. On l’utilise de plus en plus fréquemment dans le maraîchage bio, en remplacement des habituelles machines agricoles, sur de petites parcelles.
Le transport de personnes reste généralement déconseillé car il possède une moins grande souplesse dorsale que le cheval, le rendant inconfortable au trot. En revanche, sa constitution robuste se prête très bien au port d’un bât ou à l’attelage, même si, pour cette dernière activité, il est moins élancé que l’âne des Pyrénées ou l’âne Grand noir du Berry.
Alimentation et comportement
L’âne se nourrit d’herbes, de fleurs et de foins. Il peut boire jusqu’à 15 litres d’eau par jour.
L’orge ne sera utilisée que par grand froid ou lorsque la neige recouvre tout le pâturage. Le pain et autres aliments tels que carottes, pommes et friandises ne sont à donner qu’à titre exceptionnel.
L’âne atteint sa maturité sexuelle autour de l’âge de 2 ans. La saison des amours se déroule d’avril à juillet. La gestation dure entre 12 et 13 mois. Une portée ne compte en général qu’un seul petit, les jumeaux étant assez rares.
A sa naissance, l’ânon pèse entre 10 et 40 kg.
Contrairement à une idée reçue, l’âne n’est pas têtu, il est juste plus intelligent et a une capacité d’analyse des situations bien supérieure aux autres équidés. Il faut donc rechercher avant tout sa collaboration par la compréhension de la tâche que l’on veut lui faire exécuter.
Le braiement est le cri de l’âne.
Un animal exploité durant des siècles
C’est au XVe siècle que l’on note l’importance de l’âne dans le système d’élevage ovin, transhumance entre la Basse-Provence et les alpages de Haute-Provence, des Alpes et du Dauphiné.
Durant 5 siècles, les ânes ont été, avec les chiens, les compagnons des bergers, portant sur des bâts le matériel, la nourriture, le sel pour les brebis et parfois même, les agneaux nés avant le départ de la transhumance ou nés dans les alpages et trop jeunes pour redescendre ; on installait alors les agneaux dans de grands carrés de toile que l’on accrochait au bât de l’âne.
Ainsi les bergers ont sélectionné un animal disposant d’une ossature solide, capable de porter de lourds chargements, d’un tempérament docile et capable de parcourir les drailles (les fameux chemins empruntés pour la transhumance).
On retrouve aussi l’âne de Provence transporteur de légumes ou portant des tissus et des pièces de mercerie, transportant le blé et la farine du moulin, travaillant dans les vignes ou pour le maraîchage.
Au XIXe siècle on comptait en France 10 ânes pour 1 000 habitants mais l’apparition du chemin de fer et des camions ont considérablement réduit leur rôle.
L’âne de Provence fait partie des 7 races d’âne officiellement reconnues en France par le ministère de l’agriculture et les haras nationaux : l’âne du Cotentin, l’âne des Pyrénées, le baudet du Poitou, l’âne de Normandie, le Grand noir du Berry, l’âne bourbonnais.
Races |
Ane de Provence |
Ane du Cotentin |
Ane des Pyrénées |
Baudet du Poitou |
Ane de Normandie |
Grand noir du Berry |
Ane bourbonnais |
Taille au garrot (en cm) |
120 à 135 |
115 à 135 |
145 à 160 |
140 à 156 |
110 à 125 |
135 à 145 |
118 à 132 |
Robe |
Gris tourterelle |
Gris cendré ou tourterelle |
Bai brun |
Bai brun au noir |
Bai brun |
Bai brun à brun foncé |
Brun |
Il existe bien entendu d’autres types d’âne : âne de Gascogne, âne corse, âne catalan…
Autres exploitations
Une ânesse peut produire entre 3 à 6 litres de lait par jour. Son lait est particulièrement nutritif, contenant plus de lactose et moins de matières grasses que le lait de vache.
Il possède également des vertus thérapeutiques et s’utilise fréquemment en cosmétique.
En g/ litre |
Lait d’ânesse |
Lait de femme |
Lait de vache |
Lait de chèvre |
Lait de jument |
Eau |
896,3 |
873,8 |
876 |
873 |
923 |
Matières grasses |
15 |
38 |
32 |
44 |
6 |
Matières protéiques |
21,5 |
16,4 |
42 |
48,5 |
19 |
Glucides |
64 |
70 |
43 |
31 |
48 |
Minéraux |
3,2 |
1,8 |
7 |
3,5 |
4 |
Source : http://baudetdupoitou.free.fr/
L’âne produit également du fumier utilisé comme engrais pour l’amendement des sols cultivés, spécifiquement dans les terres froides et humides.
La peau de l’âne, très fine et très solide, une fois tannée, a longtemps servi à la fabrication de tambours, chaussures…
La chair des ânes a été diversement appréciée suivant les époques et les contrées : les Grecs et les Romains en consommaient régulièrement.
En France, elle servait à confectionner le saucisson et on débitait encore de la viande d’âne en Provence avant la dernière guerre mondiale.
La viande d’âne continue malheureusement d’être produite et consommée, notamment en Chine, en Afrique et en Espagne.
De l’âne à l’art
L’âne a été célébré par de nombreux écrivains. On se souvient bien sûr des poèmes de Francis Jammes mais aussi du « Voyage dans les Cévennes avec un âne » – qui se révélera être en réalité une ânesse – de Robert Louis Stevenson.
Mais comment ne pas évoquer « La mule du pape » d’Alphonse Daudet ou « L’âne culotte » d’Henri Bosco, ou encore le long poème de Victor Hugo « L’âne » publié en 1880 ou tout simplement la douce chanson d’Hugues Aufray « Le petit âne gris » ?
On le retrouve inévitablement dans les « Fables » de Jean de La Fontaine mais aussi dans les contes populaires et la littérature enfantine comme par exemple « Les mémoires d’un âne » de la comtesse de Ségur, « Peau d’âne » de Charles Perrault ou « Les musiciens de Brême » des frères Grimm.
Il est aussi le héros du 7e art dès le début du XXe siècle. Plusieurs courts métrages et films français le mettent à l’honneur dont ce film émouvant, « Au hasard Balthazar » de Robert Bresson, qui conte les tribulations d’un âne dans les Landes au milieu des années 60… Jusqu’en 2001 où, l’ami de « Schrek » – film d’animation outre-Atlantique – est un âne comique et bavard…
Car l’âne fait partie de l’imaginaire et de la culture populaire depuis la nuit des temps : sa présence dans la crèche provençale, à côté du bœuf, qui l’un et l’autre réchauffent de leur souffle l’enfant Jésus, sa représentation par de grands peintres dans les scènes de la Nativité, et dans la Bible avec la fuite en Egypte puis l’entrée du Christ à Jérusalem à dos d’âne.
Il a vécu une si grande intimité avec l’homme, parfois valorisé (bonté, intelligence, douceur, patience, endurance), d’autre fois moqué (bêtise, entêtement, paresse), qu’il en est presque devenu le troublant reflet.
Et pour le plaisir :
« L’âne du jardinier »
« Le terreau, la ciboule et le lys me parfument.
Je suis comme un jardin, je porte des légumes.
Et si c’est un melon j’ai l’air d’un oriental,
Qui a dessus son dos une outre de cristal.
Je salue en passant les choses matinales :
La rosée, les osiers, et les fleurs de Bengale,
Les écoliers qui ont des pièges à moineaux,
L’ouvrier sans travail, l’aiguiseur de couteaux,
La laitière de roses aux jambes décidées,
Le soldat-laboureur qui passe entre les blés.
Je comprends peu la terre à cause du mélange.
Je comprends mieux le ciel où il n’y a que des nuages.
Cependant c’est en vain qu’à chaque instant j’essaie
D’escalader l’air bleu, de mon sabot usé.
Chaque fois le sabot retombe, malhabile,
Rivé au sol par des entraves invisibles… »
Francis Jammes