Le grand débat sur l’expérimentation animale : « Peut-on faire de la recherche sans recourir à l’animal ? »

© Linda Bartlett

« Peut-on faire de la recherche sans recourir à l’animal ? ». Telle est la question récemment posée dans l’article publié par le journal La Croix. L’expérimentation animale est un sujet sensible au cœur de nombreux débats et génère souvent de vives émotions, parfois au détriment d’un raisonnement objectif. Nous avons d’ailleurs encore récemment assisté à une joute oratoire médiatique entre le monde de la recherche et les personnes en désaccord avec cette pratique. Mais au milieu de ce « ping-pong » verbal se mêle une incompréhension et confusion générale sur la question de l’expérimentation animale.

 

Quels sont donc les arguments de chacun des partis pris ?
« Assez de caricatures sur l’expérimentation animale »

Le 30 novembre dernier, 400 chercheurs ont écrit une tribune, intitulée « Assez de caricatures sur l’expérimentation animale » dans le journal Libération, afin d’exprimer l’exaspération des scientifiques d’être considérés comme des « chercheurs sadiques » et d’expliquer en quoi, selon eux, « cette pratique reste un maillon indispensable pour comprendre, soigner, guérir ».

Après avoir reconnu la responsabilité de la communauté scientifique de manquer de communication sur le sujet, les auteurs de la tribune ont mis en avant une méconnaissance importante du grand public sur la question de l’expérimentation animale et ont rappelé que cette pratique était contrôlée, avec un « encadrement réglementaire très strict ». Ils ont ainsi expliqué que la directive européenne 2010/63 (transposée en droit français le 1er février 2013) fixe pour « objectif final le remplacement total des procédures appliquées sur les animaux ». Ils ont également ajouté, entre autres, qu’il leur était obligatoire d’utiliser un modèle alternatif à un modèle animal si celui-ci existait, qu’ils devaient justifier auprès d’un comité d’éthique toutes manipulations, le choix de l’espèce et le nombre d’animaux utilisé, et qu’ils devaient respecter la règle des « 3R » (Remplacer le modèle animal autant que possible, Réduire le nombre d’animaux utilisé, Raffiner les méthodes utilisées. La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) souligne également l’importance du principe de réhabilitation des animaux de laboratoire, qui permet de leur offrir une meilleure fin de vie, via des adoptions par des particuliers ou des placements au sein de centres spécialisés, lorsque cela est possible).

Enfin, les 400 signataires ont reconnu qu’il existait des moyens de remplacement du modèle animal comme la peau artificielle, les cultures cellulaires, les modèles informatiques etc. Ils ont toutefois stipulé que ces méthodes ont un usage limité et ne permettent pas de comprendre les mécanismes physiopathologiques d’un organe ou organisme entier, rappelant que l’expérimentation animale « n’est pas une discipline en soi » mais fait partie des nombreuses étapes de la recherche. Ces étapes, mises en perspective les unes aux autres, apportent « des informations indispensables » complémentaires.

Tout en reconnaissant légitimes les préoccupations des citoyens sur le bien-être animal et la justification des animaux utilisés en recherche, les auteurs de cette tribune appellent à «plus de transparence sur les pratiques réelles et non fantasmées et couper court à ces campagnes diffamatoires insultantes envers les acteurs de la recherche et qui désinforment les citoyens ».

« Assez de caricatures » sur les militants de la cause animale concernant l’expérimentation animale

La philosophe Florence Burgat, l’agro-sociologue Raphaël Larrère, la neurologue Colette Goujon et le juriste Jean-Pierre Marguénaud, ont alors répondu à la tribune rédigé par les 400 chercheurs, dans le même média, avec l’article intitulé « Expérimentation animale, une controverse scientifique ».

Les auteurs de celui-ci ont mis l’accent sur l’enjeu qu’est le remplacement des êtres vivants dans la recherche pour « la science de demain » et ont stipulé que cette cause était loin d’être uniquement une « obsession des militants de la cause animale ».

Pour cesser d’opposer le monde de la recherche et celui de la cause animale, ils ont rappelé que « la critique des expérimentations sur ces êtres sensibles que sont les animaux excède largement les militants de la cause animale. L’expérimentation, quand elle se traduit par des souffrances, des mutilations ou des « sacrifices », est une source de malaise, même dans les institutions de recherche ». Ils ont mentionné que ces critiques n’étaient pas faites pour remettre les bases de la biologie en cause mais seulement les méthodes d’investigation « puisque c’est sur ces bases et sur la confiance dans le progrès des connaissances dans ces champs disciplinaires qu’ils comptent pour voir s’imposer des solutions alternatives ».

Après avoir reconnu une évolution des règlementations en vigueur, Madame Burgat, Monsieur Larrère, Madame Goujon et Monsieur Marguénaud, ont toutefois mis en exergue que « ces exigences sont fortement relativisées par la directive elle-même qui ne les envisage souvent que « dans la mesure du possible » (article 4 et 13) ou « sauf si cela n’est pas approprié » (article 14 relatif à l’anesthésie) » et que « la transposition de la directive en droit français a contourné l’exigence d’impartialité de l’évaluation des projets » puisque celle-ci est effectuée par un comité à « l’initiative de l’établissement utilisateur lui-même avec l’assurance que la majorité de ses membres n’a aucune objection de principe à l’expérimentation animale ».

Enfin, les auteurs de cette 2e tribune ont cité quelques unes des grandes avancées permettant d’envisager d’autres modèles que celui animal, comme les cellules-souches avec l’obtention d’organes entiers appelés « organoïdes ». Ils ont également admis que ces méthodes sont limités car ne sont pas « en interaction avec les mécanismes de régulation de l’organisme » mais mettent en avant la controverse suivante : « La controverse entre ceux qui estiment que l’on prend moins de risques en utilisant les méthodes substitutives les plus récentes avant de procéder à des essais cliniques qu’en testant sur des modèles plus ou moins imparfaits d’animaux et ceux qui argumentent qu’il faut maintenir des expériences sur des organismes animaux est bien une controverse scientifique. »

Pour conclure leur discours, ils ont mentionné que, malgré la période de transition actuelle où les nouvelles méthodes de substitution peinent à s’imposer, le remplacement définitif du modèle animal ne pourra s’effectuer « qu’à l’issue d’un processus au cours duquel il conviendra de favoriser avec détermination le développement et l’emploi de méthodes substitutives ».  

 

 

Vers la recherche scientifique sans expérimentation animale ?

 

Comment comprendre objectivement les enjeux et faits de l’expérimentation animale au milieu des arguments exprimés par chaque parti? Quels sont les moyens mis en œuvre pour faire évoluer ces méthodes substitutives ? La réglementation actuelle est-elle suffisante et suffisamment respectée ? … autant de questions que d’incompréhensions concernant l’expérimentation animale.

L’objectif principal, que nous espérons partagé de tous, est bien évidemment un remplacement total du recours à l’animal dans le monde de la recherche. Mais est-ce actuellement  possible et sous quel délai est-ce envisageable ?

L’expérimentation est un sujet vaste et sensible, au cœur des préoccupations sociétales et humaines depuis plusieurs années.

C’est pourquoi l’association « Ensemble pour les animaux » souhaite organiser un colloque à ce propos (qui aura lieu courant 2019) afin de clarifier la situation, de communiquer les différents arguments et points de vue sur le sujet, de faire un constat des méthodes de substitution actuelles … et d’échanger sur les moyens à mettre en place pour une amélioration du bien-être animal dans le monde de la recherche.

Loin de se proclamer référente en la matière, notre association souhaite toutefois réunir les différents acteurs concernés pour réfléchir ensemble et aller vers une évolution de la science, des consciences et des méthodes actuelles, avec pour seule ambition d’améliorer le bien-être et le respect de tout être vivant dans le milieu de l’expérimentation animale.

 

L’équipe d’Ensemble pour les animaux, le 25 janvier 2018