L’éléphant d’Asie (Elephas maximus)
BIOLOGIE DE L’ESPÈCE
L’éléphant d’Asie (Elephas maximus) est un lointain cousin de l’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana). Leurs anatomies sont en fait très différentes, l’éléphant d’Asie est plus petit, 2 à 3.5 mètres au garrot contre 3 à 4 mètres pour son cousin africain ; et plus léger, 2 à 5 tonnes contre 3 à 8 tonnes pour l’éléphant de savane d’Afrique. Une autre particularité de l’éléphant d’Asie est que seuls les mâles ont des défenses proéminentes. Chez les femelles, elles sont réduites et ne dépassent pas de leur gueule. À noter également que les éléphants d’Asie ont une dépigmentation de la peau sur certaines zones comme la trompe et les oreilles. Malgré une peau d’environ 2 cm d’épaisseur, cette dépigmentation traduit en fait une très forte sensibilité de l’épiderme, particulièrement sur ces zones. Les éléphants d’Asie doivent donc se recouvrir de boue, de poussières, et de feuilles pour se protéger des agressions du soleil et des insectes. Leur dos est également vulnérable à cause du développement très prononcé des épines dorsales de leurs vertèbres (Illustration 1).
Illustration 2 : Evolution de la répartition des éléphants d’Asie à son extension maximale (rose) et en début du XXIe siècle (rouge). (© IUCN)
Groupe d’éléphants d’Asie traversant une route en Inde (© India’s Endangered)
Les éléphants d’Asie ont un métabolisme très lent se traduisant par une guérison lente en cas de maladie et un rythme de vie ajusté en conséquence. Par exemple, ils dorment très peu, 3 à 4 heures par jour seulement. Ils passent en fait la majorité de leur temps (plus de 60% en milieu naturel) à rechercher et ingurgiter 200kg de nourriture par jour. Leur alimentation est très variée, on recense plus d’une centaine d’espèces végétales constituant le régime alimentaire de l’éléphant d’Asie. Mais chaque aliment est scrupuleusement sélectionné, ils ne vont manger que l’écorce de certains arbres, ou que les racines de certaines plantes, ou que les feuilles, etc. Pour récolter cette alimentation, ils peuvent parcourir plus de 10km par jour et ont donc besoin d’un très large domaine vital, entre 30 km² et 500 km² en fonction de l’habitat. On les retrouve en effet dans des habitats très divers à la densité alimentaire variée, des forêts tropicales humides de montagnes aux prairies herbeuses, en passant par les forêts de feuillus ou les savanes arborées.
Comme ses cousins d‘Afrique, l’éléphant d’Asie vit en groupe familial à la structure sociale matriarcale, la femelle la plus âgée est la dominante du groupe. Cependant, il semblerait que cette structure soit moins stricte en Asie, chaque individu du groupe ayant plus d’autonomie de mouvement et pouvant changer de groupe fréquemment. La structure des groupes sociaux des éléphants d’Asie est donc à la fois plus variable et plus complexe que son cousin d’Afrique. Quoi qu’il en soit, l’unité de base d’un groupe d’éléphant d’Asie est la femelle et son jeune, qui va rester auprès d’elle 7-8 ans voir parfois toute la vie pour certaines femelles. Cette complexité dans la structure des groupes sociaux démontre une grande intelligence chez cette espèce. Leur capacité de mémoire n’est plus à démontrer, ils peuvent se souvenir de chaque individu rencontré et de chaque événement marquant de leur vie (environ 60-70 ans en milieu naturel). Mais cette faculté extraordinaire leur porte parfois préjudice, l’éléphant étant l’une des espèces pouvant être victime de chocs post-traumatique.
MENACES SUR LES POPULATIONS SAUVAGES
L’éléphant d’Asie est considéré comme espèce en danger par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN) depuis 1986. Il ne resterait ainsi plus que 40 000 à 50 000 individus à l’état sauvage. Les principales menacent qui pèsent sur l’espèce sont la perte d’habitat, le braconnage et la capture d’individus pour l’industrie du divertissement.
a) Perte d’habitat
L’éléphant d’Asie n’occupe actuellement plus que 15% de son territoire d’origine (Illustration 2). La cause la plus connue de déforestation en Asie du Sud-Est est bien sûr la culture de palmiers à huile en Indonésie et Malaisie. Mais ce n’est malheureusement pas la seule cause de réduction de l’habitat. Elle ne représente en fait que 14% des 21 millions d’hectares de forêt primaire disparu entre 1990 et 2005 en Indonésie, ce qui en fait la troisième cause de déforestation dans le pays après l’exploitation du bois (le teck par exemple) et les cultures de bois pour l’industrie papetière.
En réalité, la principale cause de la perte d’habitat en Asie est la densité de la population qui y est la plus élevé au monde, et en croissance constante de 1 à 3% par an. Dans les régions rurales où l’on retrouve les éléphants, les villageois vivent principalement grâce à l’exploitation de leur terre (maïs, riz, thé etc. en fonction des régions). Cette utilisation des terres induit également une forte fragmentation de l’habitat. Les populations d’éléphants se retrouvent isolées les unes des autres dans des petits patchs de territoire encore intacts et entourés de terres agricoles. Au-delà de la perte de l’habitat, sa fragmentation est un énorme problème pour la conservation de l’espèce et son patrimoine génétique, les individus isolés ne pouvant plus se reproduire entre eux. La réduction et la fragmentation de l’habitat est donc un problème alarmant sur lequel travaille de nombreuses ONG et chercheurs afin de créer des corridors entre les différents patchs et sensibiliser les populations à la nécessité de partager le territoire avec la faune sauvage pour éviter les conflits.
b) Conflit Homme-animal
En effet, cette réduction et fragmentation de l’habitat induit également des conflits avec l’Homme. Les éléphants ne pouvant plus avoir un territoire assez grand, se tournent de plus en plus vers les cultures pour se nourrir. Ces conflits sont extrêmement violents et font des morts humains et éléphants par centaines chaque année.
Illustration 4: Peau d’éléphants d’Asie. (© British Charity Elephant Family)
L’intensification du braconnage depuis 2010 s’explique par une augmentation de la demande en peau (Illustration 4). La Chine a en effet autorisé sont commerce pour l’utilisation comme remède traditionnel. Elle servirait pour ses propriétés supposées contre l’eczéma et les troubles gastriques. De plus, avec le développement de l’artisanat culturel en Chine, elle est aussi utilisée pour fabriquer des bracelets ou des perles. Contrairement au braconnage pour l’ivoire, celui de la peau touche absolument tous les individus et devient donc une menace encore plus importante pour la survie de l’espèce.
La Birmanie, qui compte la plus grande population d’éléphants d’Asie du Sud-Est, après la Thaïlande, avec environ 2 000 individus, est actuellement le pays le plus touché. Cela s’explique tout d’abord par sa proximité avec la Chine. De plus, les contrôles y sont très rares et l’amende maximale pour destruction d’espèces protégées ne s’élève qu’à 60$ alors que la peau se vend entre 150$ et 300$ le kilo sur le marché Chinois. Enfin, l’instabilité du pays et la multiplication de groupes armés contrôlant certaines zones du nord du pays participent aussi aux problèmes, ne facilitant pas les contrôles dans ses zones. Ainsi le nombre d’éléphants d’Asie en Birmanie a été divisé par deux en 10 ans et aurait diminuée de 25% entre 2013 et 2015, démontrant une amplification de la menace.
Camp d’éléphants avec spectacles (peinture, foot, musique, …) et balades (Chiang Mai, Thaïlande) (@ Elodie Massiot)
Ces conflits existent plus ou moins sur tout le territoire de l’espèce mais sont exacerbés en Indes. En effet, l’Indes regroupe plus de la moitié de la population mondiale d’éléphants d’Asie. De plus, au nord du pays, les éléphants doivent migrer au cours de l’année pour trouver de la nourriture. Or, les couloirs de migration empruntés chaque année par les éléphants ne sont pour la plupart pas protégés : 13% seulement sont couverts par la forêt alors qu’environ 65% sont traversés par de grands réseaux routiers (Illustration 3). Chaque année la migration cause ainsi la mort de nombreux éléphants électrocutés par les câbles électriques le long des routes par exemple. En parallèle, les pachydermes causent durant leur traversée des territoires occupés par l’Homme de nombreux dégâts dans les champs mais aussi dans les villages. Dix-huit personnes ont ainsi été tuées par des éléphants en 2015 dans la région de Bengale.
La réduction de ces conflits Homme-éléphants causé par la réduction et la fragmentation de leur habitat est un défi majeur pour la conservation de l’espèce. L’utilisation de clôture de ruches, méthode qui a fait ses preuves en Afrique, est actuellement testée avec succès au Sri Lanka, qui connait les mêmes problèmes que l’Indes avec près de 600 éléphants sur l’île. L’astuce est simple, les ruches sont accrochées à de simples clôtures en corde, si un éléphant tente de passer ou de détruire la clôture cela dérangera les abeilles qui vont aussitôt attaquer l’intru. Les éléphants craignent énormément les piqures d’abeilles. Ces clôtures permettent donc de protéger les cultures et d’apporter en même temps une autre source de revenue aux villageois. Après le succès de cette première expérimentation en Asie, cette méthode est destinée à être étendue à d’autres régions et notamment en Inde.
c) Braconnage
Le braconnage est surtout connu pour menacer les éléphants d’Afrique. Malheureusement, le braconnage des éléphants d’Asie existe également et est même actuellement en augmentation. En cause, le trafic de leur ivoire, peau, queue, etc. pour la fabrication d’objets ou la médecine traditionnelle chinoise.
d) Capture d’individus pour l’utilisation humaine
Depuis le début de l’utilisation de l’éléphant d’Asie il y a 4000 ans, ces derniers ont été employés dans les cérémonies bouddhistes, les guerres, l’exploitation forestière ou le divertissement. Actuellement, l’explosion du tourisme en Asie du Sud-Est engendre une forte augmentation de leur utilisation comme divertissement pour les touristes.
Malheureusement, depuis tous temps, ces utilisations demandent des captures d’individus dans la nature. En effet, l’éléphant a un cycle de reproduction très long, tous les 3-4 ans environ et il n’est pas « utilisable » durant la longue période de gestation (18 à 22 mois). De plus, les éléphants d’Asie ne sont réellement productifs qu’entre 15 ans et 40 ans. La reproduction en captivité de l’éléphants d’Asie n’est donc pas économiquement supportable. Les méthodes de capture sont différentes en fonction des périodes historiques et des régions : utiliser un éléphant dressé pour attirer un individu sauvage dans un enclos, piégeage avec appât dans la forêt, etc.
Ces captures ont déjà eu de graves conséquences sur les populations, par exemple, la sous-espèce vivant en Chine a disparu au XVe siècle à cause de son utilisation comme char de guerre. Actuellement, ce sont surtout les populations de la Birmanie qui sont menacées. Les individus y sont capturés très jeunes, puis dressés et utilisés dans les « camps d’éléphants », attractions touristiques malheureusement devenues incontournables pour ses spectacles et balades à dos d’éléphants majoritairement en Thaïlande (Illustration 5).
@ Elodie Massiot
Au-delà de l’impact négatif de cette industrie du tourisme sur les populations sauvages, les conditions de captivité dans ces camps sont désastreuses. Une étude de 2016 de l’ONG World Animal Protection réalisée sur toute l’Asie du Sud-Est démontre que les trois quarts des éléphants étudiés (près de 3 000 éléphants) vivent dans des conditions inacceptables. Au niveau santé, ils n’ont pas accès à une alimentation assez riche et variée, ont des problèmes de peau du fait d’être sans cesse nettoyé, des problèmes osseux dû au poids des nacelles et visiteurs sur leur dos, etc. Au niveau bien-être, ils développent de très lourds problèmes comportementaux comme des stéréotypies, comportements répétés et sans but. Non, les éléphants de ces camps ne dansent pas, ils expriment ainsi un immense stress dû à leurs conditions de vie et leur dressage.
Alors que peut-on faire à notre niveau pour aider l’espèce ? Tout d’abord, il est essentiel d’informer, peu connaissent les menacent de braconnage qui pèse sur l’espèce par exemple. Puis, dénoncer ! Dénoncer le trafic de peau d’éléphants en Chine par exemple. Une simple signature de pétition semble dérisoire mais chacun de ces petits gestes détériore l’image du pays et renforce ainsi la pression sur le gouvernement pour prendre les bonnes décisions. Et enfin, si vous prévoyez un voyage en Asie du Sud-Est et que vous voulez absolument voir des éléphants, choisissez l’organisme avec beaucoup de précaution. Evitez tous lieux proposant des interactions (balade, bain, show, photo, etc.) avec les éléphants et méfiez-vous des « sanctuaires » qui n’en ont souvent que le nom. Vous pouvez vous fier à l’évaluation faite par l’ONG World Animal Protection et choisir parmi le peu d’organisme qu’ils recommandent, comme l’ONG Mahouts Elephant Foundation (www.ensemblepourlesanimaux.org/lassociation-du-moment).
Elodie MASSIOT – Assistante de recherche
Institute for Compassionate Conservation
Sources :
De Silva, S., & Wittemyer, G. (2012). A Comparison of Social Organization in Asian Elephants and African Savannah Elephants. International Journal of Primatology 33, 1125–1141.
Gendler A. Why elephants never forget. TED Education, 18/08/2018 [consulté le 20/09/2018]. www.TEDEducation/videos/WhyElephantNeverForget
IUCN SSC Asian Elephant Specialist Group, 2008. Elephas maximus. The IUCN Red List of Threatened Species 2008. www.iucnredlist.org/Elephasmaximus
Greshko M, En Inde, les violences contre les éléphants se multiplient. National Geographic [en ligne]. www.nationalgeographic.fr/inde-violences-elephants
Chauveau L. La déforestation par les palmiers à huile est bien difficile à arrêter ! Sciences et Avenir [en ligne], le 20/09/2018. www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/deforestationcontinueindonesie
Philip Bruno, Après leurs défenses, les Chinois veulent la peau des éléphants d’Asie. Le Monde [en ligne], 20/09/2018. www.lemonde.fr/planete/chinoispeauelephants
Taken for a ride – The conditions for elephants used in tourism in Asia. World Animal Protection 2017: www.worldanimalprotection.org.au/sites/default/files/au_files/taken_for_a_ride_report.pdf