La science progresse et il est possible, depuis plusieurs décennies, de réaliser des greffes d’organes à partir de donneurs ; cela permet de sauver des vies.
Pourtant, les dons d’organes sont insuffisants. En France, près de 600 personnes sont sur liste d’attente chaque année, faute d’avoir pu recevoir un greffon. En 2018, ce sont près de 25 000 personnes qui étaient en attente d’un organe et seulement 6 000 d’entre elles ont pu être greffées.
Et ce lourd constat peut se généraliser à la planète entière.
Pour faire face à cette situation, la science s’est orientée vers une nouvelle voie : la production d’organes humains dans le corps d’un animal, en vue d’une réimplantation ultérieure à l’homme.
C’est le Japonais Shinya Yamanaka, prix Nobel de médecine en 2012, qui le premier a réussi une avancée scientifique spectaculaire : mettre au point le processus d’implantation de cellules souches humains dans un animal.
Des cellules souches appelées « IPS » – cellules pluripotentes induites – sont implantées dans des embryons d’animaux modifiés. L’embryon est modifié afin qu’il ne crée pas un organe précis en se développant ; ce sont les cellules humaines qui coloniseront l’animal pour créer cet organe manquant.
Ces cellules souches peuvent ainsi produire n’importe quel genre de cellules en fonction de la partie du corps où elles sont implantées.
Hiromitsu Nakauchi, autre chercheur à l’université de Tokyo et à l’université de Stanford aux États-Unis, et son équipe travaillent également sur l’implantation de cellules humaines dans des animaux ; ils ont récemment eu le feu vert des autorités japonaises pour pousser leurs expérimentations jusqu’à 14,5 jours de vie embryonnaire (au-delà, les embryons doivent être détruits).
Précédemment, des premiers essais concluants avaient été réalisés sur des souris et des rats : des pancréas de souris créés dans des rats ont été réimplantés dans des souris diabétiques ; ces pancréas « neufs » ont fonctionné normalement.
Embryons chimères
Trois méthodes ont été développées à ce jour :
- L’hybride cytoplasmique : on utilise un ovocyte animal duquel on enlève le noyau pour le remplacer par le noyau d’une cellule humaine.
- L’embryon transgénique humain : on injecte une séquence animale génétique dans un embryon humain.
- La chimère : on introduit des cellules souches humaines dans des embryons d’animaux.
En génétique le terme « chimère » est utilisé pour désigner un organisme formé de deux ou plusieurs populations de cellules génétiquement distinctes, et cela en référence aux chimères de la mythologie. Chaque population de cellules conserve son propre caractère génétique ; ainsi, l’organisme est une combinaison de tissus ou d’organes de différents types mais toutefois compatibles.
Des essais menés en 2018 aux Etats-Unis ont ainsi permis de créer des embryons chimères – en l’occurrence de mouton et de porc – contenant des cellules souches humaines.
La création d’un véritable hybride mi-homme mi-animal par fécondation d’un gamète animal et d’un gamète humain est à ce jour interdite. De même qu’il est interdit d’implanter un embryon hybride dans un utérus humain.
L’avantage, on l’a compris, est de produire des organes humains, certainement à grande échelle, afin de pallier les pénuries actuelles.
Le second intérêt – qui n’est pas des moindres – est que le risque de rejet devient nul, évitant au receveur de suivre un traitement lié à l’incompatibilité entre l’organe du donneur et son propre organisme.
Que réservons-nous aux animaux ?
Depuis des décennies, les scientifiques greffent des tumeurs humaines sur des souris ou fabriquent des valves cardiaques provenant de cochons mais, avec cette avancée scientifique que sont les embryons chimères, se pose une série de questions éthiques autour du rôle que nous donnerons aux animaux dans les années à venir.
Dans ce nouveau contexte qu’en sera-t-il de l’éthique et de la protection animale ? Ne seront-elles pas reléguées aux oubliettes ? Car comment respecter les consignes et les règles, comment ne pas faire souffrir et ne pas « modifier » un animal dès lors que l’on introduit dans son organisme des cellules étrangères qui « pousseront »…
En d’autres termes, cet animal sera-t-il encore vraiment un animal ?
Le risque d’une trop forte hybridation entre l’homme et l’animal est évidemment la question centrale.
Des cellules IPS pourraient en effet être disséminées dans le cerveau de l’animal, altérant sa cognition spontanée, au risque de voir se développer une forme de pensée ou de conscience similaire à celle de l’homme. Dès lors que les cellules souches sont introduites, définir la frontière entre l’animal et l’homme devient une nécessité absolue ; il est impératif d’éviter la confusion entre l’humain et l’animal.
L’apparence morphologique est aussi un élément non négligeable car accepterions-nous de vivre avec des animaux dotés d’organes ressemblant par exemple à une oreille ou à un pied humain ? L’animal serait aussi potentiellement capable de produire des gamètes – cellules reproductrices – humains.
En France, la loi de bioéthique de 2011 interdisait la recherche sur l’embryon sauf par dérogation et avec un encadrement très strict depuis 2013. Le projet de loi bioéthique en cours devrait faire évoluer cette partie puisque est évoquée « la demande d’autorisation de création, pour la recherche, d’embryons transgéniques, jusqu’alors strictement interdite en France ». Techniquement ce genre d’expérience serait donc possible en France dans les années à venir. Mais il existe toujours « un flou au niveau juridique et réglementaire ».
Certains scientifiques considèrent que malgré les abus possibles, il ne faut pas perdre l’objectif final qui est de sauver des vies humaines. D’autres chercheurs, plus prudents, soulignent que l’on ne peut pas réduire la question éthique à de simples manipulations techniques, et qu’il y a bien un risque de transgression de la frontière homme animal, instrumentalisant une fois de plus l’animal mais l’homme et son embryon tout autant.
Valérie Besio, le 15 octobre 2019
Sources :
https://www.agence-biomedecine.fr/
https://www.bienpublic.com/france-monde/2019/08/01/un-chercheur-va-pouvoir-creer-des-embryons-hybrides-humain-animal
https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/biologie-cellulaire/premiere-au-japon-des-organes-humains-pourront-etre-cultives-dans-des-embryons-animaux_136027
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/premiere-creation-d-embryons-chimeres-homme-mouton_121453
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/premiere-creation-d-embryons-chimeres-porc-humain_110159https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/la-creation-d-embryons-hybrides-pourrait-etre-autorisee-outre-manche_3864https://lejournal.cnrs.fr/articles/pourquoi-la-recherche-animale-reste-indispensablehttp://www.fondation-droit-animal.org/informations-juridiques/animaux-utilises-a-des-fins-scientifiques/http://antidote-europe.org/justifier-utilisation-animaux-sentients-recherche-fondamentale/http://www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-400-notice.htmlhttps://www.recherche-animale.org/la-recherche-et-votre-sante/la-recherche-animale-et-les-avancees-medicales
https://www.nationalgeographic.fr/sciences/des-hybrides-mouton-humain-ont-ete-developpes-en-laboratoire?fbclid=IwAR2_hdr6-AH2KiLiZkOPyRdLGX_4a7d1k4kOo-X3byBtyGh8YWhN1bUUDt0
https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Ethique/Peut-faire-recherche-sans-recourir-lanimal-2018-01-16-1200906171https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Sciences-et-ethique/embryons-chimeres-risque-dun-brouillage-frontiere-homme-animal-2018-12-11-1200988863