Vers une morale universelle

L’histoire manifeste un progrès indéniable de notre conscience morale, qui n’a jamais cessé de s’étendre à d’autres groupes d’individus, malgré des périodes de régression. Dans les sociétés anciennes, le respect ne concernait que les membres d’une même tribu, puis il s’est étendu aux autres clans, puis à la cité entière, puis aux membres des autres cités. On a longtemps considéré que certains humains ne méritaient pas d’être respectés au nom d’une prétendue infériorité (les esclaves), et cette barrière s’est effondrée au cours des siècles écoulés. Depuis son avènement à la fin du XVIIIe siècle, la notion de « droits de l’homme » s’est étendue progressivement et, même s’il ne faut jamais la considérer comme définitivement acquise pour tous, ces droits ont englobé peu à peu tous les individus qui composent l’humanité, sans distinction de couleur de peau, de sexe ou de religion. Il nous apparaît aujourd’hui « naturel » de protéger tout être humain contre un manque de respect de l’intégrité de sa personne, et bien entendu ce respect s’étend aux personnes vulnérables, comme les enfants ou les handicapés mentaux. L’élargissement de ces droits aux animaux représente une nouvelle étape dans le progrès de la conscience humaine et en constitue certainement le couronnement. Comme Darwin l’a magnifiquement exprimé en 1871, « l’humanité envers les animaux inférieurs est l’une des plus nobles vertus dont l’homme est doté, et il s’agit du dernier stade du développement des sentiments moraux. C’est seulement lorsque nous nous préoccupons de la totalité des êtres sensibles que notre moralité atteint son plus haut niveau ». La raison en est simple : respecter nos proches est relativement facile et nous y trouvons un intérêt évident. Mais respecter les êtres vivants qui sont le plus éloignés de nous, ceux d’une autre espèce, est le signe d’un véritable altruisme, d’une réelle capacité à se soucier d’autrui, et ce de manière totalement désintéressée.

Frédéric Lenoir, extrait de « Lettre ouverte aux animaux »
Editions Fayard, mai 2017